La naturalisation peut être refusée en se fondant sur le comportement des proches du demandeur

roze-bruno Par Le 10/06/2022 0

Il est, dans la pratique, assez courant que la naturalisation soit refusée en raison de faits et comportements qui ne sont pas imputables au demandeur, mais à ses proches (famille et amis).

Cette position, qui paraît relativement choquante, trouve sa source dans la nature même de la naturalisation.

Dans la décision commentée (CE. CHR. 8 avril 2021, n° 436264, mentionnée aux tables), le Conseil d’Etat donne un exemple de ce type de pratique et du lien avec la nature d’une décision de naturalisation.

Dans cette affaire, était en cause le refus de naturalisation opposé à l’épouse d’un ancien ministre rwandais, directement impliqué dans le génocide de 1994, et condamné pour ces faits par la Cour pénale internationale.

L’administration avait opposé à la demanderesse à la naturalisation ses liens avec son époux condamné pour de tels faits.

Cette décision avait été confirmée par la cour administrative d’appel de Nantes et la postulante avait donc formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Or, le Conseil d’Etat confirme la décision de la cour administrative d’appel de Nantes.

En effet, il commence par systématiser le principe selon lequel il est possible de tenir compte des liens du demandeur à la naturalisation avec d’autres personnes pour se prononcer sur sa naturalisation. Il précise ainsi :

« 3. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération les liens particuliers du demandeur avec un tiers, notamment le conjoint. Elle peut, à cet égard, rejeter une demande de naturalisation si elle estime, notamment, que de tels liens sont susceptibles d'affecter l'intérêt que présenterait pour le pays l'octroi de la nationalité française au demandeur. ».

Cette affirmation de principe vient donc consacrer la possibilité de tenir compte dans le traitement d’une demande de naturalisation des actes des personnes proches du demandeur.

En effet, jusqu’ici la jurisprudence du Conseil d’Etat était quelque peu contradictoire.

Plus précisément, le Conseil d’Etat avait posé le principe selon lequel il n’est possible de se fonder que sur des faits imputables au demandeur, tout en acceptant, d’emblée, de prendre en compte le comportement du conjoint du demandeur à la naturalisation (CE. SSR. 4 octobre 2000, Mme Thi X, n° 204298, publiée au Recueil ; CE. SSR. 10 décembre 2004, Mme Kmar Y, n° 257590, mentionnée aux tables).

Dans la pratique, la cour administrative d’appel de Nantes a, également, appliqué ce principe en opposant régulièrement aux demandeurs à la naturalisation les comportements de leurs conjoints (ex : CAA Nantes, 4 mai 2018, n° 17NT01458) voire de leurs amis (ex : CAA Nantes, 12 février 2018, n° 16NT03246).

Ainsi, par la décision commentée, le Conseil d’Etat ne fait que consacrer un principe qui trouvait déjà à s’appliquer dans la pratique.

● Pour justifier cette solution qui, de prime abord, apparaît choquante puisqu’elle consiste à faire peser une personne les comportements d’une autre, le Conseil d’Etat se fonde sur la nature particulière des décisions de naturalisation.

En effet, il convient de rappeler que la naturalisation n’est jamais un droit même pour la personne qui remplit les conditions posées par les textes.

Ainsi, le Conseil d’Etat juge de longue date sur ce point que : « le fait de remplir les diverses conditions exigées […] ne donne aucun droit à obtenir la naturalisation, laquelle constitue une faveur accordée par l’Etat français à un étranger » (CE. SSR. 30 mars 1984, Ministre des affaires sociales, n° 40735, mentionné aux tables ; voir sur ce point l’article : Comment contester un refus de naturalisation ?).

Cela signifie donc que l’administration peut refuser une demande même si le demandeur remplit les conditions pour être naturalisé.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat se fonde sur cette spécificité de la naturalisation pour affirmer que l’administration peut s’interroger sur « l'intérêt que présenterait pour le pays l'octroi de la nationalité française au demandeur » et donc tenir compte des liens du demandeur à la naturalisation avec des tiers dont le comportement est jugé contestable.

Ainsi, le Conseil d’Etat estime que la naturalisation doit avoir un « intérêt […] pour le pays ». Ce qui permet de refuser la naturalisation si la demande n’a pas d’intérêt eu égard aux liens du demandeur avec certaines personnes.

Le Conseil d’Etat va donc plus loin dans cette décision que dans la décision précitée du 30 mars 1984 puisqu’il ne considère pas seulement que la naturalisation est une « faveur » accordée à un étranger. Il raisonne cette fois en termes « d’intérêt » du pays à accorder cette demande.

C’est en tout cas en raison de la particularité de la naturalisation que le Conseil d’Etat permet de prendre en compte le comportement des proches du demandeur pour lui accorder ou non la naturalisation.

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