Nationalite 4

Le droit à l’erreur et l’omission frauduleuse d’informations en matière de naturalisation

Le 18/10/2022

Deux arrêts récents de la cour administrative d’appel de Nantes permettent d’illustrer la distinction entre l’erreur honnête et la dissimulation frauduleuse dans les dossiers de demande de naturalisation.

En effet, ces dossiers, parfois complexes à remplir, peuvent conduire à d’honnêtes erreurs ou omissions. Cependant, le ministère de l’intérieur estime, par principe, que toute omission est frauduleuse et rejette, pour ce motif, la demande de naturalisation.

Bouton

● Dans les deux arrêts commentés (CAA Nantes, 24 mai 2022, n° 21NT01419 ; CAA Nantes, 08 juillet 2022, n°21NT02329), la cour administrative d’appel de Nantes rappelle que toute omission, même importante, n’est pas nécessairement frauduleuse.

Il convient de rappeler ici, bien que la cour ne fasse pas référence à cet article dans ses arrêts, que l’idée d’un droit à l’erreur progresse peu à peu dans le droit français. C’est d’ailleurs dans cette optique que les articles L. 123-1 et L. 123-2 du code des relations entre le public et l’administration ont été rédigés.

Ces deux arrêts donnent donc une illustration de cette règle de bon sens selon laquelle toute omission n’est pas nécessairement frauduleuse.

● Dans la première affaire, la demanderesse à la naturalisation, arrivée en France en 1984, avait indiqué, dans son formulaire de demande de naturalisation, qu’elle s’était mariée en 1995 avant de divorcer et qu’elle était mère de deux enfants.

Cependant, avant son entrée en France, l’intéressée avait également été très brièvement mariée à deux reprises pendant quelques mois en 1980 puis en 1982, sans que des enfants naissent de ces unions. Elle ne l’avait toutefois pas indiqué dans sa demande de naturalisation.

Le ministre de l’intérieur, informé de ces mariages, avait refusé la demande de naturalisation au motif que l’intéressée avait omis de mentionner ces deux mariages.

La demanderesse à la naturalisation a alors formé un recours contre ce refus (voir l’article : Comment contester un refus de naturalisation ?).

Dans l’arrêt commenté, la cour retient que l’« intention de dissimulation ou de fraude » n’était pas établie par cette seule omission. La cour relève, sur ce point, la brièveté (quelques mois) et l’ancienneté (près de 30 ans) de ces mariages antérieurs à l’arrivée de l’intéressée en France pour estimer que cette omission ne démontrait pas les intentions frauduleuses de la postulante.

La cour aurait d’ailleurs pu également relever que cette omission était également sans incidence sur l’appréciation de la demande de naturalisation de l’intéressée. En effet, le fait d’avoir été brièvement mariée il y a près de 30 ans sans que ces unions n’aient donné lieu à la naissance d’enfants ne peut pas avoir d’incidence sur l’appréciation du « centre des intérêts » de la demanderesse, et donc sur sa naturalisation.

Aussi, la cour annule le refus de naturalisation opposé par le ministre de l’intérieur.

Cet arrêt donne donc un bon exemple d’une omission qui n’a – en elle-même – aucune incidence et qui peut simplement résulter de ce que le demandeur pense sincèrement qu’il n’est pas nécessaire d’apporter cette précision.

● Dans la seconde affaire, la demanderesse à la naturalisation n’avait pas indiqué, dans son dossier de demande, qu’elle était « mariée ». Mais, en cours d’instruction de sa demande, elle avait transmis un « acte de mariage » dont elle avait bien précisé qu’il était frauduleux et qu’elle devait en conserver l’original pour effectuer des démarches en vue de son divorce.

La situation, rappelée par la cour, était en réalité la suite : l’ex-compagnon de la requérante avait fait établir, à son insu, au Mali un acte de mariage frauduleux. Aucun doute sur ce caractère frauduleux ne pouvait exister dans la mesure où, le jour du prétendu « mariage », l’intéressée n’était pas au Mali.

Devant la cour, la requérante expliquait qu’elle avait pensé, en toute bonne foi, que ce document n’avait aucune valeur en France et qu’elle ne devait donc pas indiquer qu’elle était « mariée ».

La cour retient cette interprétation et relève que l’intéressée avait d’ailleurs transmis l’acte en question à l’occasion d’une demande de pièces complémentaires faite par l’administration.

La situation est donc ici un peu différente de la précédente affaire puisque ce n’est pas, cette fois, l’ancienneté et le manque d’importance de l’événement qui retire sa gravité à l’omission. Il s’agit ici du raisonnement, de bonne foi, de la demanderesse qui estime qu’un acte de mariage frauduleux ne fait pas d’elle une femme mariée au sens du droit français.

Ces arrêts donnent donc deux illustrations d’hypothèses dans lesquelles le principe du ministère de l’intérieur selon lequel toute omission est nécessairement frauduleuse, s’avère erroné.