Vers un assouplissement de la jurisprudence en matière de naturalisation pour les parents d’enfants restés à l’étranger ?

roze-bruno Par Le 06/02/2020 0

Dans Nationalité

Par un arrêt n° 19NT00757 du 19 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur le cas d’un postulant qui avait sollicité sa naturalisation mais se l’était vu refuser au motif que certains de ses enfants étaient restés dans son pays d’origine, sans que ce dernier n’ait fait de demande de regroupement familial à leur égard.

Ce type d’hypothèse n’a, en soi, rien de très original dans la mesure où ce motif est très classiquement avancé par les services de l’Etat pour estimer que le « centre [des] intérêts » (CE. Sect. 28 février 1986, n° 57464, publiée au Recueil) du demandeur n’est pas situé en France et qu’il ne réside donc pas en France au sens du code civil.

En revanche, la réponse apportée par la cour à ce recours est différente de ce qu’elle est généralement.

En effet, dans ce type d’hypothèse où celui qui demande sa naturalisation a des enfants mineurs résidant en France et d’autres à l’étranger, le juge vérifie en général si les enfants restés au pays ont fait l’objet d’une demande de regroupement familial (voir, par exemple, en ce sens : CAA Nantes, 28 mai 2018, n° 17NT01947 ; CAA Nantes, 29 décembre 2017, n° 16NT02288 ; CAA Nantes, 16 septembre 2016, n° 15NT03356).

Si une demande de regroupement familial a été déposée avant la décision se prononçant sur la demande de naturalisation du postulant, le juge considère alors que le centre des intérêts du demandeur se trouve en France. Si aucune demande de regroupement familial n’a été déposée, le juge estime que le demandeur à la naturalisation n’a pas le centre de ses intérêts en France.

Le raisonnement derrière cette position du juge est le suivant : si le demandeur à la naturalisation considère réellement la France comme son pays, alors il a nécessairement sollicité le regroupement de sa famille sur le territoire ; s’il ne l’a pas fait, c’est que ses intérêts dans son pays d’origine sont trop forts pour qu’il soit regardé comme « résidant » en France.

Ce raisonnement, quelque peu simpliste, est critiquable et tend à gommer la réalité des choses qui fait que diverses raisons, dont certaines sont totalement extérieures au demandeur à la naturalisation, peuvent justifier que certains enfants du postulant restent dans leur pays d’origine (la première de ces raisons étant qu’ils peuvent, par exemple, être le fruit d’un premier lit et qu’il n’est pas possible d’imposer à l’autre parent leur venue en France).

Or, dans la décision commentée, la cour administrative d’appel de Nantes s’éloigne quelque peu de la position de principe présentée ci-dessus.

En effet, dans cette affaire, le demandeur à la naturalisation avait dix enfants. Huit de ces enfants étaient français et vivaient en France avec le postulant et leur mère (également française). Le postulant avait deux autres enfants, lesquels résidaient avec leur mère comorienne aux Comores.

Le tribunal saisi de cette affaire avait considéré que le demandeur à la naturalisation n’ayant jamais fait de demande de regroupement familial pour les deux enfants nés aux Comores d’une relation adultère, le centre de ses intérêts n’était pas situé en France.

Si la cour avait appliqué les principes évoqués ci-dessus, elle aurait confirmé la position adoptée par le tribunal selon laquelle en l’absence de demande de regroupement familial, la résidence de certains enfants à l’étranger s’opposait à la naturalisation.

Cependant, elle s’écarte de cette position. En effet, elle relève l’absence de demande de regroupement familial mais n’en tire aucune conséquence. Elle relève au contraire que le demandeur à la naturalisation :

  • Séjourne de manière continue en France,
  • Vit avec son épouse française et leurs huit enfants français,
  • A des ressources d’origine française.

Elle en déduit donc que même si le demandeur à la naturalisation n’a pas rompu tout lien avec ses enfants vivant aux Comores et dispose toujours de l’autorité parentale sur eux, le centre de ses attaches familiales est situé en France.

Ainsi, la cour met en balance les différents éléments de la vie du demandeur à la naturalisation pour en déduire que le centre de ses attaches familiales est en France, au lieu de poser, comme auparavant, une condition tenant à l’existence d’une demande de regroupement familial.

Cette technique, qui relève davantage de celle du faisceau d’indices paraît plus adaptée à l’appréciation des situations concrètes des demandeurs à la naturalisation. L’on peut donc espérer qu’elle permettra plus de souplesse et conduira, à terme, à l’abandon du « critère » de la demande de regroupement familial qui, dans un certain nombre de cas, relève d’une approche artificiel des relations familiales.

 

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