La théorie des vices inopérants appliquée aux refus de raccordement

Par un arrêt du 22 juin 2017, la cour administrative d’appel de Paris a considéré de manière générale que la théorie des vices inopérants ne trouvait pas à s’appliquer aux refus de raccordements prononcés sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme. Cette solution, critiquable, mérite que l’on s’y attarde pour la comparer avec la décision M. Montaignac, de principe en la matière.

 

La solution retenue par la cour administrative d’appel de Paris, qui refuse de manière générale l’application de la théorie des vices inopérants aux décisions de refus de raccordement apparait erronée. En effet, elle se fonde sur une interprétation trop rapide de la jurisprudence du Conseil d’Etat (I.) et s’éloigne de l’esprit de la jurisprudence M. Montaignac (II.).

 

I. Une solution fondée sur une interprétation erronée de la jurisprudence du Conseil d’Etat

L’arrêt n° 15PA02352 rendu le 22 juin 2017 par la cour administrative d’appel de Paris juge que la théorie des vices inopérants ne s’applique pas aux décisions de refus de raccordement opposées par le maire sur le fondement de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme. Aussi, avant de se pencher sur l’apport de cet arrêt, il est nécessaire de revenir brièvement sur ce que sont la théorie des vices inopérants et les décisions de refus de raccordement.

 

A. Un litige relatif à un refus de raccordement opposé par une autorité incompétente

Le contentieux qui a donné l’occasion à la cour administrative d’appel de Paris de se prononcer sur la théorie des vices inopérants opposait la société Orange au maire d’une commune pour l’érection d’une antenne-relai.

En effet, une antenne-relai avait été érigée par la société Orange sans autorisation. Cette construction, provisoire selon l’opérateur (et donc, ne nécessitant pas d’autorisation d’urbanisme) était permanente selon le maire.

Aussi, la commune s’est opposée sur le fondement de l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme (devenu L. 111-12 du même code) au raccordement de la construction aux réseaux.

Plus précisément, aux termes de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme : « les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions ».

Ainsi, en vertu de ces dispositions, les constructions réalisées sans autorisation ne peuvent être raccordées aux réseaux.

C’est donc ce qu’avait, en l’espèce, estimé le maire.

Cette situation fâcheuse pour l’opérateur l’a conduit à former un recours contre le refus de raccordement.

Or, il apparaissait que plusieurs moyens de légalité externe soulevés étaient fondés, notamment relatifs à la compétence de l’auteur de l’acte. La commune s’est donc prévalue de la théorie dite des « vices inopérants ».

En effet, cette théorie ancienne, réécrite par la décision M. Montaignac (CE. Sect. 3 février 1999, n° 14722, publiée au Recueil) permet, dans certaines situations, de neutraliser les vices de forme et de procédure entachant un acte administratif.

Plus précisément, dans l’hypothèse où l’administration est en situation de compétence liée (c’est-à-dire lorsqu’elle n’a pas à porter une appréciation sur les faits), les vices de légalité externe de l’acte sont inopérants. L’objectif de cette théorie est d’éviter une annulation inutile de l’acte dans la mesure où l’administration étant tenue de prendre la décision contestée, elle aurait pris, et reprendra, la même décision en respectant cette fois les règles de forme et de procédure nécessaires.

C’est donc sur cette théorie que se fondait la commune dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Paris pour affirmer qu’en vertu de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme, le maire était en situation de compétence liée pour s’opposer au raccordement de la construction irrégulière, et qu’ainsi les vices de légalité externe soulevés par l’opérateur étaient inopérants.

Toutefois, la cour n’a pas suivi le raisonnement développé par la commune.

 

B. Une interprétation erronée de la jurisprudence du Conseil d’Etat

La cour administrative d’appel de Paris, se prononçant sur l’argument de la collectivité, a estimé :

« 7. Considérant que les refus d’autorisation de raccordement aux réseaux publics, qui ont été opposés à la société Orange ont été pris sur le fondement de l’article L. 111-6 précité du code de l’urbanisme ; qu’ils présentent ainsi le caractère de mesures de police de l’urbanisme, destinées à assurer le respect des règles d’utilisation du sol ; qu’il appartient ainsi à l’autorité administrative chargée de la délivrance des permis de construire de mettre en œuvre, le cas échéant, les dispositions précitées de l'article L. 111-6 du code de l’urbanisme ; que, dans les communes dotées d’un document d’urbanisme, la compétence de principe pour la délivrance des autorisations d’urbanisme appartient au maire ; que ce dernier n’est pas tenu de refuser cette délivrance lorsque les conditions d’application de l’article L. 111-6 sont réunies ».

Cette rédaction étonne quelque peu dans la mesure où la cour déduit des termes « ne peuvent » être raccordés aux réseaux, que le maire « n’est pas tenu de refuser » le raccordement. Or, les termes « ne peuvent » impliquent nécessairement une interdiction. Cette interprétation apparaît d’autant plus critiquable qu’il est bien établi que l’utilisation du présent de l’indicatif vaut obligation (Cons. const. 17 janvier 2008, Loi ratifiant l’ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, n° 2007-561 DC).

D’ailleurs, de nombreux autres arrêts de cour relèvent l’obligation du maire de refuser le raccordement (voir, par exemple : CAA Nantes, 16 décembre 2008, Mme Fallone, n° 08NT00707 ; CAA Paris, 19 mars 2009, M. Croquelois, n° 07PA00251 ; CAA Bordeaux, 4 mars 2010, Mme Danièle X c. Commune de la Flotte-en-Ré, n° 09BX00990 ; CAA Marseille, 31 mai 2012, Commune de Mauguio, n° 10MA03210).

Par conséquent, le maire apparaît donc bien tenu de refuser le raccordement si la construction a été réalisée sans autorisation.

Néanmoins, la raison de cette position de la cour administrative d’appel de Paris est à rechercher dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.

En effet, par une décision du 7 octobre 1998 (CE. SSR. 7 octobre 1998, M. L’Hermite, n° 140759, mentionnée aux tables), la Haute juridiction avait estimé que le préfet peut, à l’occasion de son avis sur le projet d’extension d’un réseau électrique, tenir compte des possibilités futures de raccordement des constructions à ce réseau sur le fondement de l’article L. 111-12 du code l’urbanisme. Autrement dit, le préfet peut s’opposer à l’extension d’un réseau pour raccorder des constructions si, en tout état de cause, ces constructions – irrégulières – ne pourront se raccorder audit réseau.

Jusqu’ici, cette décision ne paraît pas se prononcer sur le point qui nous intéresse.

Toutefois, le titrage de cette décision, lu trop rapidement, a conduit une partie de la doctrine à considérer que la théorie des vices inopérants était inapplicable aux refus de raccordement.

Plus précisément, le titrage indiquait : « Le directeur départemental de l’équipement, appelé à donner son approbation à un projet d’extension du réseau de distribution d’électricité, est en droit de tenir compte des possibilités de raccordement telles qu’elles résultent de l’application de l’article L.111-6 du code de l’urbanisme. Il n’est pas tenu de refuser cette approbation lorsque les conditions d’application de l’article L.111-6 sont réunies (sol. impl.) ».

C’est cette dernière phrase, étudiée hors contexte, qui a pu conduire à l’interprétation retenue par la cour.

Pourtant, le point tranché par la décision (et confirmé par le titrage) est seulement que le préfet peut tenir compte de l’impossibilité future de raccordement pour s’opposer à l’extension du réseau, sans toutefois être tenu de le faire. En revanche cette décision ne tranche pas la question de la compétence liée du maire pour s’opposer ultérieurement au raccordement.

Néanmoins, en l’espèce, il est manifeste que la cour a effectué une interprétation erronée de cette décision et de son titrage en se fondant sur l’interprétation retenue par une partie de la doctrine. En effet, la rédaction de l’arrêt, laquelle s’inspire largement de la décision du 7 octobre 1998 ne laisse aucun doute sur le motif de sa position.

Or, cette interprétation erronée de la décision du 7 octobre 1998 est également contraire à l’esprit de la jurisprudence de principe M. Montaignac.

 

II. Une solution contraire à la jurisprudence M. Montaignac

La décision M. Montaignac qui réforme la jurisprudence antérieure en matière de compétence liée a eu pour objet de restreindre le champ d’application de la théorie des vices inopérants, notamment par une application au cas par cas plutôt que par une application de principe.

Aussi, s’agissant des décisions de refus de raccordement (comme des autres décisions administratives), il n’est plus possible de raisonner, comme l’a fait la cour, de manière générale.

 

A. Une jurisprudence échappant à une application aveugle

Avec la décision M. Montaignac éclairée par ses conclusions et la chronique de Fabien Raynaud et Pascale Fombeur (AJDA 1999.567), le Conseil d’Etat a souhaité s’extraire de la philosophie antérieure en vertu de laquelle des pans entiers de législation échappaient au contrôle de la légalité externe du fait de la théorie des vices inopérants.

En effet, la Haute juridiction a entendu restreindre cette théorie aux véritables hypothèses de compétence liée, à savoir celles dans lesquelles l’administration n’est pas amenée à porter une appréciation sur les faits, c’est-à-dire à les qualifier juridiquement.

Ainsi, l’une des conséquences de cette décision est que désormais rares sont les hypothèses où, par principe, l’on peut savoir si la théorie des vices inopérants trouvera à s’appliquer.

Sur ce point, Fabien Raynaud et Pascale Fombeur relevaient d’ailleurs : « l’existence ou non d’appréciations à porter sur les faits suppose de raisonner décision par décision, et non par pan de législation, comme la jurisprudence en matière d’affichage aurait pu le laisser penser. […] On peut en déduire que la notion de compétence liée sera difficile à définir a priori ».

En effet, en pratique, l’appréciation de l’existence d’une compétence liée au sens de la théorie des vices inopérants doit conduire à une appréciation au cas par cas de chaque décision pour déterminer si l’autorité administrative a, ou non, procédé à une qualification juridique des faits laissant prise au contrôle du juge.

D’ailleurs, dans la décision M. Montaignac, le Conseil d’Etat prend bien soin de préciser que dans cette affaire, l’implantation du dispositif et le délai imparti par l’arrêté pour procéder à l’enlèvement du panneau n’étaient pas en litige. Ainsi, la Haute juridiction circonscrit le litige, ce qui lui permet d’estimer que le maire de la commune n’a pas porté « une appréciation sur les faits de l’espèce ».

Néanmoins, cela ne signifie pas que dans toutes les hypothèses, le Conseil aurait jugé qu’en matière de suppression de publicité, le maire était en situation de compétence liée.

En effet, à titre d’exemple, si le maire avait été amené à procéder à une qualification juridique de la publicité (si un doute avait existé sur la qualification de l’affichage) et qu’un débat s’était élevé sur ce point, le juge n’aurait pu considérer que la maire était en situation de compétence liée dans la mesure où il aurait nécessairement porté une appréciation sur les faits de l’espèce.

D’ailleurs, les arrêtés interruptifs de travaux fondés sur l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme sont une bonne illustration de cette absence d’application généralisée.

Plus précisément, en prenant ce type d’arrêté, le maire est regardé tantôt comme étant en situation de compétence liée, tantôt comme portant une appréciation sur les faits de l’espèce.

Lorsqu’il constate la réalisation d’une construction sans autorisation, le maire ne procède à aucune qualification juridique. Aussi, il est en situation de compétence liée (CE. SSR. 6 février 2002, SCI Saint-Georges, n° 235242).

En revanche, lorsqu’il estime que des travaux se sont poursuivis malgré la péremption d’une autorisation, il est nécessairement conduit à porter une appréciation sur les faits de l’espèce (la poursuite des travaux). De la sorte, il n’est pas en situation de compétence liée au sens de la théorie des vices inopérants (CE. SSR. 29 décembre 2006, Ministre des transports, n° 271164, publiée au Recueil).

Dans ces conditions, il est certain que la théorie des vices inopérants échappe à une application systématique et doit faire l’objet d’une étude « décision par décision ».

C’est donc bien ce raisonnement qui devait être appliqué aux décisions de refus de raccordement.

 

B. Une appréciation au cas par cas des décisions de refus de raccordement

Le raisonnement de la cour administrative d’appel de Paris apparaît erroné.

Le maire est bien tenu de refuser le raccordement d’une construction irrégulière aux réseaux et ce, même si dans certaines hypothèses, il n’est pas en situation de compétence liée au sens de la théorie des vices inopérants.

En effet, à l’instar de ce qui vient d’être dit pour les arrêtés interruptifs de travaux, la seule question qu’il convient de se poser est : le maire a-t-il procédé à une qualification juridique des faits pour prendre sa décision ?

C’est de cette seule question que peut découler l’application ou non de la théorie des vices inopérants.

C’est la raison pour laquelle, sans se prononcer sur l’application de la théorie des vices inopérants, plusieurs juridictions ont été amenées à reconnaître que le maire « était tenu » de refuser le raccordement en cas de construction irrégulière (voir les arrêts cités supra).

Aussi, il convient de se pencher, au cas par cas, sur les affaires en litige pour déterminer si la théorie des vices inopérants peut s’appliquer.

Or, en se référant à l’analyse de la jurisprudence rendue en matière d’arrêtés interruptifs de travaux, l’on peut considérer que si la construction a été réalisée sans autorisation et sans que le maire ait à procéder à une quelconque qualification juridique (péremption d’une autorisation, qualification de travaux définitifs, etc.) la décision de refus de raccordement peut se voir appliquer la théorie des vices inopérants. En revanche, si le maire est appelé à qualifier juridiquement les faits (en se prononçant par exemple sur la qualification de construction), alors la théorie des vices inopérants ne trouve pas à s’appliquer.

C’est d’ailleurs en sens qu’a jugé la cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt de 2015 se prononçant sur la théorie des vices inopérants.

Elle a, en effet, estimé : « 7. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier […] qu’un nouveau refus a été opposé à cette demande […] le 13 septembre 2011 ; qu’ainsi, à la date de la décision ici attaquée, […], il ressort des pièces du dossier que la construction pour laquelle la demande de raccordement au réseau électrique était demandée n’avait pas été autorisée ; que, par suite, le maire, qui n’avait pas à porter une appréciation sur les faits, était tenu de rejeter cette demande de raccordement, comme il l’a fait par la décision contestée du 14 février 2012 ; que, dès lors, les moyens invoqués par le requérant à l’encontre de ce refus sont inopérants et ne peuvent qu’être écartés » (CAA Marseille, 15 janvier 2016, M. C c. Commune d’Arpaillargues-et-Aureilhac, n° 13MA02370).

Ainsi, la cour administrative d’appel de Marseille examine bien dans cette affaire si le maire a porté une appréciation sur les faits de l’espèce. Elle constate que la construction en litige a fait l’objet d’un refus de permis de construire et qu’ainsi le maire n’a porté aucune appréciation sur les faits. Il se trouvait, dès lors, tenu de refuser le raccordement. La cour en déduit donc que la théorie des vices inopérants trouve bien à s’appliquer.

C’est ce raisonnement qu’aurait dû appliquer la cour administrative d’appel de Paris dans l’arrêt commenté et non procéder par affirmation générale.

Or, en appliquant ce raisonnement, elle serait parvenue à la même conclusion mais avec un raisonnement bien différent.

En effet, dans l’affaire qui nous intéresse, le maire avait été amené à qualifier la construction de construction permanente pour laquelle une autorisation d’urbanisme était nécessaire, alors que l’opérateur estimait, avec le préfet, que la construction était provisoire (moins de trois mois) et ne nécessitait aucune autorisation.

Dans ces conditions, le maire, pour prendre sa décision, a tranché un débat juridique quant à la qualification de la construction. Aussi, il a procédé à une qualification juridique des éléments de faits en sa possession. Dès lors, la théorie des vices inopérants ne trouvait pas à s’appliquer puisqu’il ne pouvait être regardé comme s’étant abstenu de porter une appréciation sur les faits.

La conclusion de la cour est donc correcte. Mais son raisonnement ne l’est pas pour toutes les raisons évoquées ci-dessus.

De plus, la rédaction pour le moins étonnante de l’arrêt laisse penser, à tort, que face à une construction irrégulière, le maire n’est pas tenu de refuser son raccordement et dispose d’une marge d’appréciation. Or, une telle affirmation est contraire à la lettre du texte.

 

Juillet 2017

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