Exclusion définitive de l'université (viols et harcèlement)

L’exclusion définitive par une université d’un étudiant pour le viol et le harcèlement d’une autre étudiante

Le 08/09/2025

La cour administrative d’appel de Nancy a validé l’exclusion définitive (sanction relativement rare même s’il ne s’agit pas de la plus grave qui puisse être prononcée) d’un étudiant pour des faits de viol et de harcèlement contre une autre étudiante. Si la gravité des faits suscite peu de débat, cette affaire conduit le juriste à s’interroger sur deux points délicats

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Les faits, tels que relevés par la cour administrative de Nancy sont d’une particulière gravité puisqu’elle a retenu comme établi que l’étudiant avait, à plusieurs reprises, avant comme après leur séparation, violé une autre étudiante du même établissement et l’avait harcelée après leur séparation, la faisant craindre pour sa vie et sa sécurité.

Au vu de la gravité des faits en eux-mêmes, l’exclusion définitive de l’établissement – qui, comme a pris soin de le relever la cour (CAA Nancy, 28 novembre 2024, n° 22NC01512), n’est pas la sanction la plus grave prévue par l’article R. 811-36 du code de l’éducation – ne fait pas débat sur le plan de la proportionnalité, même si celle-ci était contestée par l’étudiant sanctionné.

En revanche, cet arrêt présente plusieurs points d’intérêt. Le premier est la clarification par la cour administrative d’appel de Nancy du sens de l’avant dernier alinéa du I de l’article R. 811-36 du code de l’éducation. Les deux suivants sont relatifs au champ d’intervention des sections disciplinaires des universités et à l’articulation éventuelle avec la procédure pénale.

Il est donc nécessaire de voir ces points d’intérêt.

  • La clarification de la portée de l’interdiction de passer des examens conduisant à l’obtention d’un diplôme national

Dans son arrêt, la cour apporte une précision importante sur le sens du dernier alinéa du I de l’article R. 811-36 du code de l’éducation.

En effet, cet article dispose que :

« Les sanctions prévues au 4° du présent article sans être assorties du sursis ainsi qu'aux 5°, 6° et 7° entraînent en outre l'interdiction de prendre toute inscription dans le ou les établissements publics dispensant des formations post-baccalauréat, de subir des examens sanctionnant ces formations ainsi que de subir tout examen conduisant à un diplôme national. »

Ainsi, en vertu de ces dispositions, l’exclusion emporte également interdiction de passer des examens.

Mais à sa simple lecture, le champ d’application de cette interdiction n’est pas clairement défini.

En effet, l’on pourrait croire que l’exclusion définitive d’un établissement interdit à l’étudiant de passer « tout examen » conduisant à un diplôme national.

C’est ce que soutenait l’étudiant devant la cour et prétendait, ce faisant, que le texte était entaché d’illégalité en prévoyant une double sanction (ce qui méconnaissait, selon lui, le principe non bis in idem).

Mais dans son arrêt, la cour a clarifié le sens de ces dispositions. En effet, elle a indiqué que ce complément de sanction concernait les établissements visés par l’exclusion. Autrement dit :

  • Si l’étudiant est exclu d’un établissement, il n’y a que dans cet établissement qu’il ne peut plus passer de diplôme national,

  • Si l’étudiant est exclu de tout établissement public d’enseignement supérieur, il ne peut plus passer d’examen conduisant à un diplôme national dans tous ces établissements.

Il y a donc une clarification bienvenue du sens de ces dispositions.

  • La compétence de la section disciplinaire pour des faits commis en dehors de l’université s’ils portent atteinte à l’ordre, au fonctionnement ou à l’image de l’établissement

Les universités peuvent sanctionner les étudiants pour des faits commis en dehors de l’université, alors que le lien avec l’université est parfois ténu. Mais en l’espèce, le lien était moins difficile à établir et il est intéressant de voir les éléments retenus par la cour.

Un principe désormais clair

Comme cela a pu être exposé précédemment dans ces colonnes (Un étudiant peut être sanctionné pour des faits commis en dehors de l’université, si ces faits ont perturbé le fonctionnement de l’établissement), le Conseil d’Etat a très clairement tranché cette question (CE. CHR. 27 février 2019, n° 410644, mentionnée aux tables).

En effet, l’article R. 811-11 du code de l’éducation n’est pas particulièrement clair en lui-même du fait de sa généralité puisqu’il prévoit que les universités peuvent sanctionner « tout fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université ».

Dans la décision de principe du Conseil d’Etat, il était question d’une agression commise par un étudiant sur un autre en dehors de l’établissement de sorte que le lien avec l’établissement était particulièrement ténu.

Mais le principe de la compétence de l’université a été clairement posé dans cette décision.

Un lien justifié ici par la cour

Dans l’affaire ici commentée, le lien avec l’université, et donc la compétence de la section disciplinaire, était contestée par l’étudiant.

Mais la cour a écarté cette exception de procédure en retenant un certain nombre d’éléments. Par ailleurs, plusieurs éléments développés au fil du raisonnement de la cour viennent également justifier sa position, même s’il apparaît toujours complexe qu’un établissement d’enseignement ait à connaître de faits de nature privée.

Pour écarter l’exception d’incompétence soulevée par l’étudiant, la cour a retenu que les faits avaient été commis en dehors de l’enceinte de l’université mais que ceux-ci :

  • Avaient eu un retentissement sur la santé et la scolarité de l’étudiante,

  • Avaient eu un retentissement sur le groupe d’amis commun (également composé d’étudiants de l’université),

  • Avaient reçu une certaine publicité puisque les représentants des usagers (à savoir les élus étudiants) avaient été informés de la plainte pénale de l’étudiante (ce faisant, la réputation de l’établissement était concernée, ce que la cour n’indique pas expressément mais cela ressort de son raisonnement).

Ce raisonnement apparaît en-lui assez sérieux pour justifier le lien avec la communauté universitaire et justifier ainsi la compétence de la section disciplinaire de l’université.

D’autres éléments, exposés au fil du raisonnement de la cour viennent également abonder en ce sens :

  • Une partie des faits de harcèlement avaient apparemment eu lieu dans l’enceinte de l’établissement (même si l’essentiel de ce harcèlement avait eu lieu en dehors, tout comme les faits de viols),

  • Ces faits avaient été portés à la connaissance du médecin et de l’infirmière de l’université,

  • Les étudiants avaient dû s’interposer lors d’un événement en lien avec l’université pour empêcher l’étudiant d’aborder sa camarade,

  • La plainte pénale, au-delà de sa connaissance par les représentants des étudiants était, en soi, susceptible de porter atteinte à l’image de l’université en cas de procès.

Ainsi, l’atteinte à l’« ordre », au « bon fonctionnement » et à la « réputation » de l’université était assez clairement établie.

  • Le lien, toujours difficile avec la procédure pénale

Cette affaire suppose une interrogation, qui n’est pas propre à cette affaire, mais concerne plus généralement toutes les hypothèses dans lesquelles les fautes disciplinaires des étudiants sont de nature pénale.

En effet, pour le juriste, il est toujours délicat qu’une autorité administrative (voire même une juridiction administrative) se prononce sur des faits de nature pénale pour considérer qu’ils sont établis ou non, avant que le juge pénal se soit prononcé.

Plus précisément, l’autorité de la chose jugée par le juge pénale est particulièrement importante et le respect du principe de la présomption d’innocence doit être respecté jusqu’à ce que le juge pénal se soit prononcé.

Bien que les actions disciplinaire et pénale aient des objets différents, l’articulation est donc toujours complexe.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en matière de fonction publique, les articles L. 531-2 et suivants du code général de la fonction publique permettent en pratique à l’administration de suspendre l’agent jusqu’à ce que le juge pénal ait statué, de manière à se prononcer sur l’action disciplinaire après le juge pénal.

Un tel mécanisme n’existe pas en matière de discipline des étudiants.

Et pour cause, la situation est différente et ne s’inscrit dans la durée de sorte que l’université ne peut pas être contrainte d’attendre une décision du juge pénal qui peut intervenir très longtemps après.

Le temps de l’université et du juge pénal n’est pas le même. Il ne serait donc pas possible de transposer la solution retenue par les textes pour les fonctionnaires.

Il n’y a donc pas d’autre choix, en pratique, que de se prononcer sans attendre que le juge pénal statue.

L’arrêt ici commenté en donne d’ailleurs un bon exemple puisque la plainte de l’étudiante a apparemment été déposée en 2021 (peu de temps avant la sanction prononcée par l’université) et, en 2024, lorsque la cour s’est prononcée en appel après un jugement du tribunal administratif, le juge pénal ne s’était pas encore prononcé.

Dans ces conditions, même si cette solution n’est pas idéale du point de vue du juriste, il n’y en a pas d’autre (sauf à réduire drastiquement les délais de jugement en matière pénale, ce qui ne paraît pas près d’arriver étant donné le manque de moyens et de personnel de la justice pénale).

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Bruno Roze

Avocat associé

Melian Avocats AARPI