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La faute d’un fonctionnaire ne justifie pas forcément une sanction… quand il s’agit, pour un professeur d’université, d’embrasser une étudiante

Le 22/05/2024

Le Conseil d’Etat vient, très récemment, de considérer que le CNESER (conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) pouvait refuser de sanctionner un professeur des universités, qui avait embrassé une étudiante lors d’une soirée alcoolisée au vu des « circonstances particulières de l’espèce ». Cette décision, assez étonnante en droit, mérite d’être examinée.

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Dans cette affaire (CE. CHS. 27 mars 2024, n° 470787), dont nous ne connaissons pas les détails, il était question du baiser entre un professeur d’université et l’une de ses étudiantes dont il assurait la direction du mémoire, dans un bar, au cours d’une soirée alcoolisée.

Nous ne savons pas si ce baiser était consenti, mais, étant donné les éléments retenus par le Conseil d’Etat, l’on peut en douter (sans avoir de certitude cependant au vu de cette seule décision).

A la suite de cet incident, l’université avait lancé des poursuites contre le professeur en question mais la section disciplinaire de l’université puis le CNESER avaient refusé d’infliger une sanction audit professeur.

La décision du CNESER a donc été déférée au Conseil d’Etat par l’université, qui souhaitait voir le professeur sanctionné.

C’est cette décision du Conseil d’Etat qui est commentée ici car elle interroge en droit.

 

  • Un constat de prime abord contradictoire : une faute mais pas de sanction

La première chose qui interroge à la lecture de cette décision (comme n’a pas manqué de le souligner la professeure Olivia Bui-Xuan à l’AJDA 2024, p. 929 « Pas de #MeToo dans l'enseignement supérieur... ») est la contradiction apparente entre la reconnaissance d’un comportement fautif et l’absence de faute.

En effet, il ne fait aucun doute que le CNESER et le Conseil d’Etat ont reconnu la faute disciplinaire du professeur. L’emploi du terme « comportement fautif » retenu par le Conseil d’Etat ne laisse aucun doute.

Dans le même temps, l’absence de sanction n’est pas jugée irrégulière.

Cela donne l’impression que le juge (la section disciplinaire et le CNESER étant des juridictions administratives et non de simples autorités administratives) peut reconnaître une faute mais ne pas la sanctionner.

Or, en principe, tel n’est pas le cas.

En effet, il existe bien en droit public un principe « d’opportunité des poursuites » comme en matière pénale (CE. Ass. 6 juin 2014, FCPE et a., n° 351582, publiée au Recueil).

Mais ce principe s’applique à l’autorité en charge des poursuites.

Autrement dit, l’administration, dans une situation particulière peut décider, comme le ferait le parquet au pénal, de ne pas poursuivre et de ne pas lancer de procédure de sanction contre un agent public pour une faute qu’il a commise.

Mais ici, il est clair que ce principe ne trouve pas à s’appliquer puisque le litige ne porte pas sur le refus de l’université de lancer une procédure disciplinaire contre le professeur, mais du choix de juridictions administratives, de ne pas le sanctionner, malgré les poursuites.

Pour mieux comprendre, en transposant à la matière pénale, cela reviendrait à considérer que le juge pénal peut juger qu’un délit a été commis tout en refusant de le sanctionner. Or, tel n’est bien entendu pas le cas (en dehors des cas d’irresponsabilité pénale).

Dans ces conditions, le constat qui ressort de la décision commentée, à savoir que le fonctionnaire a eu un « comportement fautif » mais que des juridictions administratives refusent de le sanctionner, pose un problème de principe.

 

  • Des « circonstance particulières » assez discutables

Pour juger que la faute du professeur ne justifiait pas de sanction, le CNESER, et avec lui le Conseil d’Etat, ont retenu plusieurs éléments qui interrogent dans leur globalité.

● Il est tout d’abord relevé (sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit d’une justification ou d’un simple rappel de contexte) que l’événement a eu lieu « d'une soirée passée dans un bar à l'occasion de laquelle les intéressés avaient consommé de l'alcool ».

Il n’est donc pas certain que ce soit l’une des « circonstances particulières » venant justifier l’absence de sanction.

Mais il est, en revanche, certain que, jusqu’ici, la consommation d’alcool a toujours été considéré comme indifférente ou, au contraire, comme une circonstance aggravante en cas de faute du fonctionnaire.

En effet, le fait de consommer de l’alcool (pas plus que l’état de santé d’un agent ; ex : CE. SSR. 13 mai 1992, n° 106098) ne vient justifier le comportement d’un fonctionnaire.

Etant donné la nature des relations entre un professeur d’université et ses étudiants, la consommation d’alcool devrait, classiquement, plutôt être considérée comme une circonstance aggravante.

Aussi, cette première mention est étonnante.

● Ensuite, il est relevé que ce comportement constituait un « fait isolé ».

Si cet élément peut classiquement être pris en compte au stade du quantum de la sanction, il apparaît assez discutable d’en tenir pour l’existence même d’une sanction.

En effet, le comportement antérieur d’un agent public sert d’élément pour apprécier la sanction à lui infliger (sa proportionnalité) mais sans aller jusqu’à refuser de prononcer toute sanction.

Il est une chose de tenir compte du comportement antérieur de l’agent pour fixer la sanction, il en est une autre de justifier, par ce comportement antérieur, le refus par une juridiction de toute sanction.

En tout cas, ce raisonnement n’apparaît pas classique.

● En outre, il est également retenu, pour justifier l’absence de sanction, que ce fait n’a pas eu de conséquences sur la scolarité et le parcours professionnel de l’étudiante.

Cet élément apparaît quelque peu incongru et étranger au débat. En effet, le litige ne porte pas sur l’indemnisation du préjudice éventuellement subi par l’étudiante, mais sur les relations entre le professeur d’université et son employeur public.

L’on voit donc difficilement le rapport entre le parcours professionnel ultérieur de l’étudiante et la faute disciplinaire (et non pénale) commise.

Plus précisément, pour déterminer si un agent doit être sanctionné ou non, le juge doit en principe se poser la question de savoir si l’agent a méconnu une de ses obligations, et non pas s’interroger sur les conséquences de cette pour un tiers.

Cet élément pourrait éventuellement être pris en compte dans le quantum de la sanction, mais apparait incongru sur la question du principe de la sanction.

● Enfin, il est relevé que le professeur en question a « immédiatement exprimé des regrets ».

Là encore, cet élément fait partie de ceux qui peuvent être pris en compte pour fixer le quantum de la sanction mais pas sur le principe même d’une sanction.

Il n’est pas ici question de confession dans laquelle une faute avouée est à moitié pardonnée, mais, encore une fois, de relations entre un employeur public et l’un de ses agents.

Il est donc, ici également, étonnant de voir un élément de comportement, relatif au quantum de la sanction, être pris en compte au stade du principe même de la sanction.

Ainsi, et en résumé, le raisonnement du CNESER, qu’a suivi le Conseil d’Etat, apparaît discutable du point de vue des principes appliqués en général.

Aussi, en analysant cette décision, elle apparaît étonnante de bout en bout, d’un point de vue juridique.

 

  • Un message difficile à comprendre

Au-delà du droit, et d’un point de vue plus pratique, cette décision donne un signal assez négatif aux étudiants et aux universités.

En effet, comme l’a relevé la professeure Olivia Bui-Xuan (« Pas de #MeToo dans l'enseignement supérieur.. », AJDA 2024, p. 929) cette décision apparaît à contre-courant du mouvement actuel.

De plus, elle peut donner aux étudiants le sentiment que les enseignants (qui disposent d’un pouvoir particulièrement fort sur eux et leur avenir) bénéficient toujours d’une certaine portion de l’impunité dont ils ont, trop longtemps, bénéficié comme le reste de la société.

Par ailleurs, cette décision met également en porte à faux les universités, qui sont confrontées quotidiennement aux questions épineuses de violences sexistes et sexuelles (VSS), et tentent de les régler. En effet, cette décision risque fort de décourager les universités de poursuivre ce type de comportements, lorsqu’ils sont face à des VSS que l’on pourrait qualifier de « mineures » (même si ce terme est inapproprié). Or, un tel découragement serait préjudiciable, tant aux étudiants, qu’à l’image du service public de l’enseignement supérieur.

Dans ce cadre, une sanction, même très légère, aurait paru beaucoup plus opportune.

 

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