Par une décision n° 432718 du 24 janvier 2022, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions quant au droit d’accès à l’éducation des mineurs étrangers isolés.
En effet, dans cette affaire était en cause le cas d’un mineur isolé étranger pour lequel se posait la question (récurrente dans ce type d’hypothèse) de son âge exact. Après avoir été soumis à des tests, il s’était vu refuser l’aide sociale à l’enfance en raison d’un doute sur son âge.
L’intéressé avait également demandé, ne parallèle, à être scolarisé et le rectorat de Paris n’avait jamais répondu à sa demande, faisant naître une décision implicite de rejet.
Cette décision a été contestée devant le tribunal administratif de Paris qui l’a annulée. En appel, cette annulation a été confirmée, la cour ayant estimé (CAA Paris, 14 mai 2019, n° 18PA02209) :
- D’une part, que le droit à l’éducation est distinct de l’obligation scolaire de sorte que le doute sur l’âge d’un mineur (moins ou plus de 16 ans) n’a aucun impact sur son droit à l’éducation. Plus précisément, la cour a retenu : « Comme l’ont rappelé à juste titre les premiers juges, ce droit trouve à s’exercer même dans le cas où l’enfant, âgé de plus de seize ans, n’est plus soumis à l’instruction obligatoire. Dès lors la privation pour un enfant de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies afin d’assurer le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction, et susceptible de porter atteinte à son droit à l’instruction. ».
- D’autre part, qu’il appartient au recteur, même en présence d’un doute de l’aide sociale à l’enfance sur l’âge d’un individu, de procéder à l’affectation de l’intéressé dans un établissement scolaire adapté à son niveau.
Toutefois, l’Etat s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.
Le Conseil d’Etat a donc eu à connaître des mêmes critiques et a essentiellement repris la même solution que la cour administrative d’appel de Paris.
En effet, le Conseil d’Etat considère de longue date que le droit à l’instruction est une liberté fondamentale (CE. Ord. 15 décembre 2010, Ministre de l’éducation nationale, n° 344729, publiée au Recueil).
De plus, le droit à l’instruction est rappelé par l’article L. 111-2 du code de l’éducation. Et ce droit est distinct de l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans (consacrée par l’article L. 131-1 du code de l’éducation).
Aussi, le Conseil d’Etat confirme ici que le droit à l’instruction est bien distinct de l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans :
« 4. En jugeant qu'il résulte de ces dispositions que la circonstance qu'un enfant ait dépassé l'âge de l'instruction obligatoire ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse bénéficier d'une formation adaptée à ses aptitudes et besoins particuliers, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit. ».
Par ailleurs, il confirme, comme la cour administrative d’appel l’avait retenu, que le rectorat n’est pas tenu par une décision du service de l’aide sociale à l’enfance qui estime qu’il existe un doute sur l’âge de la personne se présentant comme mineure.
En effet, il juge que ce « doute » n’impose pas au rectorat de refuser le bénéfice d’une formation adaptée :
« 6. En jugeant que la seule circonstance que le service de l'aide sociale à l'enfance du département de Paris ait antérieurement estimé qu'il avait un doute sur l'âge de M. P... ne constituait pas, par elle-même, un motif imposant au recteur de Paris de refuser à l'intéressé le bénéfice d'une formation adaptée […] ».
En revanche, il adopte une formulation différente de la cour administrative d’appel de Paris quant aux conséquences à tirer de ce constat.
En effet, le Conseil d’Etat en déduit qu’il appartient alors au recteur « d'apprécier lui-même la situation de l'intéressé à la date de sa décision, au vu des éléments en sa possession, tels la décision du service de l'aide sociale à l'enfance et d'éventuels éléments postérieurs ».
Ainsi, il considère que le rectorat doit prendre une décision sur la scolarisation de l’individu en tenant compte de tous les éléments en sa possession et non uniquement sur la décision de l’aide sociale à l’enfance.
Il laisse donc une porte ouverte à la prise en compte de la décision de l’aide sociale à l’enfance émettant des doutes sur l’âge de l’intéressé.
Mais il demeure difficile de savoir quelles conséquences pratiques tirer de ce pouvoir d’appréciation du recteur dans la mesure où, dans cette affaire, le requérant avait été scolarisé en cours de procédure devant le tribunal administratif. C’est ce qui explique que le Conseil d’Etat n’examine pas les conséquences pratiques des principes qu’il pose.
Il est donc délicat de tirer des conséquences générales de cette décision du Conseil d’Etat.
Il n’en demeure pas moins qu’il est désormais certain que le rectorat ne peut se borner à se réfugier derrière le doute émis par le service de l’aide sociale à l’enfance quant à l’âge d’un individu pour refuser de le scolariser.