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Cette affaire n’est pas nouvelle et a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs articles, tant sur l’ajournement que sur le redoublement (Ajournement et note « plancher » : si la règle n’est pas régulièrement opposable, l’étudiant doit se voir délivrer son diplôme ; L’exigence de précision des MCC et le contrôle sur les refus de redoublement confirmés ; Le contrôle des décisions de refus de redoublement des universités ; Les modalités de contrôle des connaissances doivent être précises).
En effet, dans cette affaire, malgré des décisions systématiquement en faveur de l’étudiant, l’université avait fait le choix de camper sur sa position. Comme indiqué précédemment dans ces lignes, après un jugement en faveur de l’étudiant, l’université avait interjeté appel.
Une fois l’arrêt d’appel rendu, l’université avait tenté de régulariser la situation pour sauver son ajournement au lieu de tenir compte des motifs de l’arrêt d’appel.
Face à cette situation, un nouveau recours avait été formé. Le tribunal avait donné raison à l’étudiant et enjoint à l’université de délivrer le diplôme, de manière à vider enfin ce litige qui n’avait que trop duré (Ajournement et note « plancher » : si la règle n’est pas régulièrement opposable, l’étudiant doit se voir délivrer son diplôme).
Là encore, l’université a fait le choix d’interjeter appel en exécutant partiellement la décision.
Aussi, la cour administrative d’appel de Paris a eu une nouvelle occasion de se prononcer sur cette affaire (CAA Paris, 21 mai 2025, n° 23PA02689).
Or, cet arrêt, au-delà de son caractère favorable à l’étudiant, apporte des précisions importantes sur le plan des principes juridiques en matière d’ajournement, de régularisation par l’université et d’injonctions de délivrer un diplôme.
Aussi, il convient de les commenter.
- Un ajournement ne peut pas se fonder sur une note plancher entrée en vigueur postérieurement à la délibération du jury
Comme cela a déjà pu être précisé sur ce blog, des modalités de contrôle des connaissances (MCC) et notamment une note plancher, ne peut conduire à un ajournement à l’université que si ces MCC ont été adoptées par les bonnes instances, régulièrement publiées et transmises préalablement au recteur (ex : CAA Paris, 21 septembre 2021, n° 20PA03428 ; CAA Douai, 5 octobre 2021, n° 19DA01886).
En effet, la transmission au recteur, prévue par l’article L. 719-7 du code de l’éducation, conditionne l’entrée en vigueur des actes réglementaires des universités, dont les MCC font partie.
Dans l’affaire ici commentée, l’université, après l’annulation de son premier ajournement en raison de l’inopposabilité de la note plancher (et plus généralement des MCC), avait ré-adopté des MCC identiques aux premières et ajourné à nouveau l’étudiant dans la foulée.
Cependant, elle n’avait transmis ces MCC au recteur qu’après l’ajournement.
Assez logiquement, la cour administrative d’appel de Paris a censuré ce nouvel ajournement en estimant qu’à la date de cet ajournement, les MCC (et donc la note plancher) n’étaient pas entrées en vigueur. De la sorte, elles ne pouvaient fonder un ajournement.
Plus précisément, la cour a estimé :
« 7. […] Par cette dernière délibération, le conseil académique de l'université a entendu régulariser les vices affectant les modalités de contrôle des connaissances valables pour l'année universitaire 2018/2019. Toutefois, en admettant même que les documents définissant les modalités de contrôle des connaissances adoptés par le conseil académique soient regardés comme suffisamment précis et détaillés, ces modalités ne pouvaient entrer en vigueur avant leur transmission au recteur. Or, il ressort des pièces du dossier que la transmission au recteur n'est réputée avoir été effectuée que le 11 juin 2021 par message électronique adressé aux services du recteur de l'académie de Créteil, soit postérieurement à la délibération litigieuse d'ajournement de M. A […] ».
Cela ne fait que confirmer les textes et la jurisprudence antérieure mais, dans cette affaire, l’argumentation de l’université exigeait ce rappel.
- Il n’est pas possible de « régulariser » des MCC après le déroulement des examens
Dans cette affaire, pour justifier ne pas avoir exécuté le premier jugement et le premier arrêt d’appel, l’université a tenté de « régulariser » les MCC afin d’ajourner une nouvelle fois l’étudiant.
En effet, les juridictions avaient estimé que le fondement de l’ajournement par l’université (à savoir une note « plancher ») était illégal dans la mesure où les MCC étaient insuffisamment précises et n’étaient pas entrées en vigueur.
Après le premier arrêt d’appel, l’université avait donc pris de nouvelles MCC pour le passé (contenant au demeurant les mêmes lacunes) mais prévoyant encore cette note plancher. Et sur le fondement de ces nouvelles MCC, a ajourné l’étudiant.
L’université avait donc fait produire des effets rétroactifs à ces nouvelles MCC, adoptées en 2021 pour des examens qui s’étaient déroulés en 2019.
Or, en principe, un acte administratif ne peut pas être rétroactif et ne peut disposer que pour l’avenir (CE. Ass. 25 juin 1948, Société de journal « l’Aurore », n° 94511, publiée au Recueil).
Devant les juridictions, l’université s’est prévalue d’une des exceptions à ce principe, qui vise les hypothèses dans lesquelles l’administration n’a pas d’autre choix que de régulariser pour le passé une situation.
Concernant les actes réglementaires (dont relèvent les MCC), un acte ne peut être rétroactif que si celui-ci est :
- « Nécessaire à la continuité du service public » (CE. SSR. 21 décembre 1994, Association sportive de Mazargues, n° 107574, publiée au Recueil).
- « Indispensable » pour appliquer une règlementation (CE. SSR. 7 février 1979, Association des professeurs agrégés des disciplines artistiques, n° 08003, publiée au Recueil).
- Nécessaire afin de mettre un terme à une situation « illégale résultant de l'absence de toute mesure antérieure » (CE, 8 mars 1967, Caisse régionale de sécurité sociale de Paris, n° 66363, publiée au Recueil).
Cette possibilité de rétroactivité est donc très encadrée.
Les conclusions de Mme Marie-Astrid de Barmon sur la décision de Section « Anschling » (28 avril 2014, n° 357090) le confirment puisqu’elles indiquent « qu'un acte réglementaire peut et même doit disposer pour le passé lorsque sa rétroactivité est la seule manière de régulariser a posteriori une situation illégale résultant d'un vide juridique. ».
Dans l’affaire qu’avait ici à juger la cour administrative d’appel, nous soutenions que ces conditions n’étaient pas remplies dans la mesure où ces nouvelles MCC n’avaient rien d’indispensables pour la continuité du service public.
En effet, les examens avaient eu lieu et la circonstance que la note plancher opposée à l’étudiant n’était en réalité pas opposable ne créait aucun « vide juridique » et il n’était pas « nécessaire à la continuité du service public » qu’elle soit adopté.
De plus, il était souligné que même si ces nouvelles MCC étaient jugées nécessaires, il faudrait alors que de nouveau examens soient réalisés sur le fondement de ces nouvelles MCC, les MCC antérieures étant illégales et inopposables.
Dans son arrêt, la cour fait droit à ce raisonnement en posant un principe très clair :
« 7. […] Dans tous les cas, l'université ne pouvait pas modifier les modalités de contrôle des connaissances postérieurement au déroulé des épreuves passées par M. A... à l'issue de l'année universitaire 2018-2019, l'intimé n'ayant au demeurant pas repassé les épreuves au printemps 2021. Aussi et alors que la situation de M. A... était entièrement régie par les textes en vigueur à la date à laquelle il a passé les épreuves, l'université ne peut utilement soutenir qu'elle était en droit de déroger au principe de non rétroactivité des actes réglementaires pour régulariser une situation ou combler un vide juridique. […] »
Autrement dit, la cour juge qu’il n’est pas possible d’adopter des MCC postérieurement à des examens et qu’il n’est pas possible de déroger au principe de non-rétroactivité des actes administratifs dans cette hypothèse.
Ce principe est donc important puisqu’il ferme la porte aux tentatives telles que celle en l’espèce, consistant à contourner une décision de justice en adoptant des MCC postérieurement à des examens.
- Le juge peut enjoindre à une université de délivrer un diplôme sans méconnaître le principe de souveraineté du jury
L’université affirmait également en appel qu’il n’était pas possible pour le juge d’ordonner à une université de délivrer un diplôme sans méconnaître le principe de souveraineté du jury.
Mais, là encore, le raisonnement de l’université était erroné.
En effet, le principe de souveraineté du jury (ex : CE. SSR. 12 février 1988, n° 85304, mentionnée aux tables ; CE. SSR. 12 décembre 1994, n° 135460 et s., mentionnée aux tables ; CE. SSR. 22 juin 2011, n° 336757, mentionnée aux tables ; CE. Sect. 4 octobre 2012, n° 347312, publiée au Recueil ; CE. CHR. 24 novembre 2017, n° 399324, mentionnée aux tables) implique seulement que les notes attribuées aux étudiants par les jurys ne peuvent pas être contestées.
En revanche, cela ne s’oppose pas à ce que le juge estime qu’un étudiant remplissait, au vu de ses notes, les conditions pour obtenir son diplôme.
La jurisprudence donne quelques exemples de cette situation, notamment dans un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris (ex : TA Melun, 14 avril 2023, M. Ameziane A, n° 2106104 ; TA Versailles, 28 octobre 2021, Mme Sihem T, n° 1909233 ; CAA Paris, 13 mars 2018, n° 17PA00477).
Et ce point a été explicité dans un article publié ici (Comment contester son ajournement à l’université ?).
Dans l’arrêt ici commenté, la cour pose très clairement le principe selon lequel lorsque l’ajournement d’un étudiant est fondé sur une règle illégale ou inopposable, le juge peut ordonner à l’université de délivrer son diplôme à l’étudiant :
« 9. Il est constant que, sans la note éliminatoire à l'origine de son ajournement, M. A aurait dû, sa moyenne de notes étant supérieure à 10, valider le master " Génie industriel " - parcours " Ingénierie de la production et conception de produits ". Or, le caractère éliminatoire de la note obtenu par l'intéressé à l'unité d'enseignement UE1S3 ne résulte que de la délibération du conseil académique de l'université Gustave Eiffel du 15 avril 2021, laquelle ne saurait être opposable à M. A ainsi qu'il a été dit ci-dessus. Par suite, les premiers juges ont pu, sans méconnaitre le principe de la souveraineté du jury dans l'appréciation des mérites des candidats, estimer que le jugement impliquait nécessairement qu'il soit enjoint à l'université Gustave Eiffel de le déclarer admis au master " Génie industriel " - parcours " Ingénierie de la production et conception de produits " et de lui délivrer le diplôme correspondant dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. »
Ainsi, il ne fait désormais plus de doute que le juge peut ordonner à une université ou une école d’accorder un diplôme à un étudiant (lorsque, bien entendu, il remplit les conditions pour l’obtenir).
Cet arrêt donc important à plusieurs titres au-delà du rappel, logique, de l’impossibilité d’opposer à un étudiant des MCC qui n’étaient pas entrées en vigueur à la date de son ajournement :
- D’une part, une université ne peut pas adopter rétroactivement des MCC pour des examens qui se sont déroulés antérieurement,
- D’autre part, le juge peut ordonner à une université ou une école de délivrer un diplôme quand il constate que l’étudiant remplissait les conditions pour l’obtenir.
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Bruno Roze
Avocat associé
Melian Avocats AARPI