Quelles sont les bonnes pratiques en matière d’enquête administrative ?

Si les règles en matière d’enquêtes administratives sont peu nombreuses, voire inexistantes, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de bonnes pratiques doivent être respectées. En effet, une bonne enquête augmente les chances de parvenir à la vérité. De plus, elle prémunie contre une éventuelle annulation de la sanction car s’il existe peu de règles procédurales, une enquête bâclée peut ne pas être exploitable.

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Les enquêtes administratives, qui ne constituent pas une obligation et ne sont pas prévues par les textes, sont cependant importantes dans la pratique.

En effet, elles sont souvent (et de plus en plus souvent) mises en œuvre par les administrations avant de lancer une procédure disciplinaire.

Et pour cause, à la suite d’une dénonciation ou de l’apparition de faits susceptibles de conduire à une procédure disciplinaire, la réaction première et logique est de déterminer si les faits sont établis.

Or, cet établissement des faits par l’administration, qui est autorité de poursuite, passe souvent par la réalisation d’une enquête, même rapide.

C’est la raison pour laquelle cette enquête administrative est importante, à la fois sur le plan des principes et dans la pratique.

Comme cela a pu être exposé ici précédemment (Quels sont les droits du fonctionnaire dans une enquête administrative ?), les droits du fonctionnaire et l’encadrement de l’enquête sont particulièrement limités, voire inexistants.

Cependant, depuis la rédaction de cet article, quelques évolutions ont eu lieu, qui seront évoquées au cours du présent article.

Si ces décisions n’ont pas bouleversé la philosophie du système, qui reste très peu encadré, cela démontre que les évolutions jurisprudentielles sont constantes.

Et dans la mesure où ces évolutions valent en général pour le passé et non uniquement pour l’avenir, cela montre l’utilité et la nécessité des bonnes pratiques de l’enquête.

En effet, il est préférable que l’enquête soit menée de la manière la plus sérieuse possible, afin d’anticiper les éventuelles évolutions jurisprudentielles à venir.

Cela permet, au-delà de l’impératif d’établissement de la preuve, d’éviter une éventuelle annulation d’une sanction pour un motif procédural.

Aussi, dans le présent article seront examinés :

  • La nécessité d’une enquête sérieuse pour satisfaire l’exigence de preuve,

  • L’intérêt des bonnes pratiques pour anticiper les évolutions jurisprudentielles,

  • Les bonnes pratiques à respecter,

  • Le cas particulier des enquêtes en matière de discrimination.

En effet, ces points sont importants pour avoir une vue d’ensemble des bonnes pratiques de l’enquête administrative pour l’employeur public.

I. Une enquête sérieuse : un impératif de preuve

La réalisation d’une enquête, et d’une enquête sérieuse, est d’abord un impératif de preuve pour l’administration.

En effet, la charge de la preuve pèse sur l’administration (A.) et une enquête mal faite ou absente peut conduire le juge à considérer que les faits rapportés par l’administration ne sont pas établis (B.).

A. La charge de la preuve pèse sur l’administration

Le point central, qui doit rester à l’esprit est que la « charge de la preuve » pèse sur l’administration.

Autrement dit, dans la mesure où c’est l’administration qui accuse son agent, c’est à elle de prouver ce qu’elle avance.

En effet, le principe est ancien puisque, pour toute décision administrative, le juge administratif contrôle la matérialité des faits (CE 14 janvier 1916, Sieur Camino, Rec. 15) et il appartient à l’administration d’apporter « la preuve qui lui incombe de l’exactitude matérielle des faits » (CE 3 février 1965, Saboureau, Rec.64).

Cette charge est d’autant plus importante en matière disciplinaire.

En effet, c’est à l’administration de prouver tous les faits qu’elle retient pour sanctionner, et pas à l’agent de prouver l’absence de réalité faits.

Il appartient ainsi à l’administration qui retient des faits qualifiés de faute disciplinaire d’apporter la preuve de ce que l’agent sanctionné a bien commis les faits en cause, notamment par l’intermédiaire :

  • d’écrits de l’agent,

  • de témoignages,

  • de rapports d’enquête.

Il convient de souligner que les éventuels témoignages fondant la décision ne doivent contenir aucun propos déformé. Ces témoignages doivent être :

  • « suffisamment précis et concordants »,

  • « circonstanciés ».

Voir par exemple en ce sens : CAA Nancy, 25 juin 2019, M. C. c. Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 17NC01529 ; CAA Lyon, 9 avril 2019, Mme C. c. CCAS de Fontaine, n° 17LY02086 ; CAA Marseille, 12 février 2019, Mme B. c. OPH du Grand Avignon, n° 17MA03850.

B. Une enquête mal faite : un risque pour la preuve

Du fait de cette charge de la preuve, une enquête absente, bâclée ou insuffisante peut conduire à ce que les faits retenus soient regardés comme n’étant pas établis par le conseil de discipline ou le juge en cas de recours contre la sanction.

Il convient de donner quelques exemples de faits qui n’ont pas été regardés comme établis en raison des conditions dans lesquelles l’enquête a été réalisée.

Ont été jugés insuffisants pour justifier une sanction :

Cela démontre que s’il n’existe pas ou peu de règles en matière d’enquête, il y a un retentissement des conditions d’enquête sur la matérialité des faits et donc la preuve.

Dès lors, il est important qu’une enquête soit correctement faite si elle veut pouvoir utiliser ses conclusions dans le cadre d’une éventuelle procédure disciplinaire.

II. Une manière d’anticiper les évolutions jurisprudentielles

Un autre impératif à ne pas négliger est constitué par les évolutions jurisprudentielles potentielles.

En effet, il n’est jamais exclu que le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel consacre une règle en matière d’enquête et, ce faisant, invalide les procédures réalisées antérieurement.

Or, ces évolutions de la jurisprudence administrative ou constitutionnelle peuvent parfois être anticipées par les bonnes pratiques.

Et il ne s’agit pas d’un cas d’école.

En effet, plusieurs décisions rendues récemment montrent que des évolutions ont lieu régulièrement :

  • La partialité des enquêteurs et la preuve.

Le Conseil d’Etat a certes jugé que la partialité d’un des rédacteurs du rapport d’enquête n’avait aucune incidence sur la régularité d’une sanction. Cependant, il a également considéré qu’il appartenait au juge de tenir compte de cette impartialité pour déterminer si les faits étaient établis (CE. CHR. 18 novembre 2022, n° 457565, mentionnée aux tables).

Dès lors, si l’enquête reste sans incidence (sauf atteinte irrémédiable aux droits de la défense – même décision) sur la régularité sanction, il est bien confirmé que les conditions dans lesquelles l’enquête est menée rejaillit sur la preuve.

Mais cela n’interdit pas qu’une évolution ultérieure ait lieu et qu’in fine, le Conseil d’Etat consacre comme principe l’impartialité de l’enquêteur. Aussi, autant se préparer à cette évolution via les bonnes pratiques.

  • Le droit de se taire et l’enquête.

De la même manière, le mode d’emploi du « droit de se taire » reconnu par le Conseil constitutionnel a été donné par le Conseil d’Etat dans deux décisions de principe (CE. Sect. 19 décembre 2024, n° 490952, publiée au Recueil ; CE. Sect. 19 décembre 2024, n° 490157, publiée au Recueil).

Et ce mode d’emploi exclut, pour l’instant, l’enquête administrative, qui n’est pas considérée comme un élément de la procédure disciplinaire.

Cependant, il est loin d’être exclu qu’un jour, le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme (voire le Conseil d’Etat lui-même) estime que ce droit concerne également l’enquête.

Auquel cas, une sanction prononcée après une enquête au cours de laquelle le droit de se taire n’a pas été rappelé pourrait être annulée.

Dans ces conditions, autant s’y préparer et s’en prémunir en suivant de bonnes pratiques.

III. Les bonnes pratiques à respecter

Un certain nombre de bonnes pratiques peuvent être citées dans le double objectif d’établir la vérité et de prémunir contre une éventuelle annulation ultérieure.

Cette liste n’est pas exhaustive (et est susceptible d’évolutions). Néanmoins, elle constitue une base pour réaliser une bonne enquête administrative.

  • Une enquête dont le champ est bien défini.

L’enquête doit logiquement concerner toutes les personnes susceptibles d’avoir des informations à donner, à savoir :

  • Le/les plaignants,

  • Le/les managers,

  • Tout autre témoin potentiel révélé par l’analyse (ex : en cas d’accusation de harcèlement d’un manager, l’ensemble du service doit être entendu),

  • Toute personne susceptible d’apporter un regard expert sur l’affaire (ex : médecin du travail, représentant syndical, informaticien, etc.),

  • La/les personnes mises en cause.

Une bonne définition du champ permet d’avoir une vue d’ensemble de la situation.

  • La possibilité de garder le silence.

Il apparaît utile et opportun de rappeler à chaque personne auditionnée qu’il lui est possibilité de garder le silence.

Cela paraît d’autant plus nécessaire pour la/les personnes mise(s) en cause même si théoriquement cela n’est pas obligatoire.

Il convient également de la rappeler à toutes les personnes entendues, à la fois par parallélisme des auditions et par sécurité.

  • Une possibilité de faire entendre des témoins.

Au-delà de la personne mise en cause, il apparaît utile de laisser la possibilité à la personne accusée de faire entendre des témoins, sauf, bien entendu, si la demande est abusive (comme, par exemple, un nombre trop important de témoins).

Une telle possibilité s’inscrit dans l’idée d’une instruction à charge et à décharge. Elle constitue aussi une prémisse aux droits de la défense qui s’exerceront dans le cadre de la procédure disciplinaire proprement dite.

  • Une possibilité laissée à toutes les personnes entendues de produire des documents.

La possibilité doit être laissée aux plaignants, aux témoins et à la personne accusée de produire tout document qu’ils estiment utiles.

Le mieux est d’ailleurs de le rappeler à chaque audition.

Cela permet, là encore, d’avoir le maximum d’éléments tangibles et d’avoir une vision globale de la réalité.

  • Une enquête menée par une personne impartiale.

L’enquête doit être menée par une personne impartiale. Et ce, à plusieurs niveaux :

  • La personne en elle-même : elle doit être prise en dehors du service concernée et la plus éloignée possible de celui-ci. Il est d’ailleurs possible (et parfois opportun dans certains contextes) d’externaliser cette enquête.

  • Ses questions et sa posture : elle doit poser des questions neutres, sans chercher à les orienter pour obtenir la réponse qu’elle souhaite, en instruisant à charge et à décharge.

Là encore, cette méthode apparaît la meilleure pour établir la vérité (d’autant qu’elle évite que les agents entendus n’aient d’a priori sur l’enquêteur).

  • Des auditions avec procès-verbaux.

Les auditions doivent conduire à la rédaction et à la signature de procès-verbaux pour chaque personne auditionnée.

En effet, une telle méthode permet d’assurer l’exactitude des propos tenus et cela évite leur remise en cause ultérieure par les mêmes personnes.

  • La rédaction du rapport objectif.

La conclusion de l’enquête doit mener à la rédaction d’un rapport par l’enquêteur. Et ce rapport doit être objectif.

En effet, un rapport est nécessaire et ne peut pas se résumer à une redite des auditions. L’enquêteur doit prendre position sur les faits :

  • Sont-ils établis ?

  • Pourquoi le sont-ils ou non ?

  • Est-ce une faute disciplinaire ? (qualification).

Ces trois étapes doivent être faites avec le maximum d’objectivité.

En effet, une fois l’opinion de l’enquêteur faite à la suite des auditions, il doit toujours coller aux faits et aux éléments recueillis pendant l’enquête sans se laisser emporter par ses impressions à charge ou à décharge.

Ces bonnes pratiques doivent en principe permettre de réaliser une enquête dans de bonnes conditions et avec un résultat le plus proche possible de la vérité.

IV. Le cas particulier des enquêtes à la suite d’une dénonciation en matière de discrimination

En matière de discrimination, la Défenseure des droits à pris une décision-cadre n° 2025-019 le 5 février 2025 qui porte notamment sur les recommandations en matière de recueil du signalement et d’enquête interne sur les questions de discrimination.

Ce document, très fourni, donne un grand nombre de recommandations, dont certaines sont spécifiques aux questions de discriminations, mais dont une bonne partie peut être appliquée de manière générale pour toutes les enquêtes administratives internes.

Ces recommandations recouvrent :

  • La mise en place des dispositifs d’écoute,

  • Le traitement des signalements,

  • La protection due à l’agent,

  • L’enquête (et notamment un certain nombre de modalités pratiques),

  • La qualification et la sanction.

Ces recommandations ne seront pas reprises ici car cela serait trop long et peu utile.

Il est donc renvoyé à ce document bien construit et exhaustif, notamment sur l’organisation pratique de l’enquête (lieux, approche, etc.), les informations à fournir aux personnes interrogées ou la confidentialité.

En matière de discrimination (et plus généralement pour toutes les enquêtes), ce guide peut être utilisé afin de préparer et de mettre en œuvre les enquêtes administratives.

A cet égard, la Défenseure des droits invite les administrations à adopter une méthode d’enquête interne applicable à toutes les enquêtes.

Une telle démarche apparaît importante afin de formaliser la pratique retenue par l’administration dans ce domaine important, qui ne connaît aucune réglementation spécifique.

En résumé, il résulte de ce qui précède que si l’enquête n’est pas réglementée, un certain nombre de bonnes pratiques sont nécessaires pour assurer la manifestation de la vérité et l’efficacité de l’action administrative en ce domaine.

Et la mise en place d’une méthode par les administrations paraît nécessaire afin de pallier l’absence de réglementation en matière d’enquête administrative.

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Bruno Roze

Avocat au barreau de Paris

Cabinet Melin Avocats AARPI

Décembre 2025

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Date de dernière mise à jour : 09/12/2025