Quels sont les droits du fonctionnaire dans une enquête administrative ?

Des enquêtes administratives sont très fréquemment menées par les administrations à l’occasion des procédures disciplinaires contre leurs agents. Ces enquêtes ont une importance primordiale pour le fonctionnaire car elles sont généralement la base de la saisine du conseil de discipline et donc de la sanction prononcée. Cependant, ces enquêtes sont peu (voire pas) encadrées par les textes et la jurisprudence.

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Dans le cadre des procédures disciplinaires diligentées par les employeurs publics contre les fonctionnaires, des enquêtes administratives sont régulièrement réalisées.

En effet, ces enquêtes visent à éclairer l’administration pour qu’elle puisse exercer utilement le pouvoir disciplinaire dont elle dispose (CE. SSR. 29 décembre 2000, M. Tressac, n° 197739 202564 202565, publiée au Recueil[1]).

Ces enquêtes, souvent réalisées en parallèle d’une suspension de l’agent (voir l’article La suspension dans la fonction publique métropolitaine), sont nécessairement stressantes et inquiétantes pour l’agent qui en fait l’objet.

Cette situation est d’autant plus difficile à vivre pour le fonctionnaire que les garanties fournies par l’enquête administrative sont presque inexistantes.

En effet, il apparaît que l’enquête administrative :

  • N’est pas une obligation,

  • Est très peu encadrée,

  • Ne donne aucun droit à l’agent.

Ces différents points méritent cependant d’être vus plus en détail.

I. L’enquête administrative n’est pas obligatoire

Il est nécessaire d’examiner plusieurs questions pour comprendre quand une enquête administrative est menée.

  • L’enquête administrative est-elle prévue par les textes ?

L’enquête administrative, réalisée à l’occasion d’une procédure disciplinaire ou même en dehors de celle-ci, n’est prévue par aucun texte.

En effet, il s’agit d’une mesure issue de la pratique, qui n’était pas prévue par les anciens textes applicables aux fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; loi n° 86-33 du 9 janvier 1986) et n’est toujours pas prévue par le code général de la fonction publique.

Plus précisément, ce nouveau code décrit la procédure disciplinaire mais n’apporte aucune précision quant à l’enquête administrative qui peut être réalisée à cette occasion.

Ainsi, l’enquête administrative est uniquement issue de la pratique.

  • L’enquête administrative est-elle une obligation ?

L’enquête administrative n’est pas obligatoire.

Elle dépend du bon vouloir de l’administration qui peut diligenter une enquête, que ce soit pour s’informer sur une situation particulière ou dans le cadre d’une action disciplinaire qu’elle est en train de lancer.

Comme elle n’est pas obligatoire, un fonctionnaire qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire ne peut exiger qu’une enquête administrative soit réalisée.

En effet, il a été jugé qu’un fonctionnaire ne pouvait demander qu’une enquête soit diligentée dans le cadre de la procédure disciplinaire dont il faisait l’objet (CE. SSR. 15 mars 2004, M. Jean-Yves A, n° 255392[2]).

Autrement dit, l’agent accusé ne peut exiger que des personnes soient entendues pour confirmer ou infirmer sa version de faits ou celle de ses supérieurs.

Cette situation est d’autant plus problématique que postérieurement, l’agent ne peut pas forcer un quelconque témoin à se présenter devant le conseil de discipline (voir l’article Comment fonctionne la procédure devant le conseil de discipline ?).

Cela signifie donc que si, au sein de son administration, des agents disposent d’informations susceptibles de le disculper ou d’expliquer sa situation, il ne peut s’en remettre qu’à leur bonne volonté pour lui fournir des attestations dans le cadre de la procédure disciplinaire.

Or, ces agents peuvent parfaitement ne pas vouloir fournir de telles témoignages, par animosité ou par peur des représailles, alors qu’ils témoigneraient dans le cadre d’une enquête structurée.

  • Qu’en est-il en cas de suspension ?

La suspension d’un fonctionnaire est prononcée dans les hypothèses où il est sérieusement soupçonné d’avoir commis une « faute grave » (voir, l’article La suspension dans la fonction publique métropolitaine).

Dans cette hypothèse, le conseil de discipline doit être saisi « sans délai ».

En revanche, rien n’oblige l’administration à réaliser une enquête administrative.

C’est généralement le cas, mais il ne s’agit pas d’une obligation.

II. L’enquête administrative est peu encadrée

Comme cela vient d’être indiqué, l’enquête administrative n’est prévue par aucun texte.

Aussi, aucune garantie textuelle n’est accordée à l’agent qui en fait l’objet.

La jurisprudence aurait pu pallier cette absence de texte en encadrant la procédure d’enquête lorsqu’elle est lancée. Cependant, tel n’a pas réellement été le cas.

En effet, comme cela va être indiqué, cette enquête apporte peu de garanties.

  • L’impartialité de l’enquêteur n’est pas garantie

La logique voudrait que, lorsqu’une enquête administrative est réalisée, elle soit confiée à un membre impartial de l’administration, issu d’un autre service par exemple.

Cependant, la jurisprudence n’a pas adopté cette position. En effet :

  • L’enquêteur peut être le supérieur hiérarchique contre lequel l’agent objet de la procédure a déjà déposé plainte avant et au moment de cette procédure (CAA Paris, 8 décembre 2016, n°15PA02276).

Ce n’est que dans l’hypothèse où l’enquêteur aurait manifesté une « animosité » particulière à l’égard de l’agent qu’il pourrait être regardé comme partial (CAA Paris, 8 décembre 2016, n°15PA02276 ; CAA Lyon, 26 janvier 2022, n° 20LY00873).

Ainsi, la conception retenue de l’impartialité en matière d’enquête administrative est assez limitée.

En effet, il faut que l’enquêteur ait manifesté son animosité à l’égard de l’agent.

Et encore faut-il que le fonctionnaire puisse le prouver. Autrement dit, il faut que l’enquêteur ait manifesté son animosité par écrit dans un rapport ou courriel pour que l’agent puisse le démontrer.

Par conséquent, les hypothèses dans lesquelles la partialité sera reconnue seront très limitées.

  • L’enquête n’a pas nécessairement à être loyale

De même, la loyauté de l’enquête (qui se rapporte à la question de la loyauté de la preuve) n’est pas totalement garantie.

● D’une part, si le Conseil d’Etat a posé le principe d’une « obligation de loyauté » de l’employeur public envers son agent (CE. Sect. 16 juillet 2014, n° 355201, publiée au Recueil), il a expressément soumis ce principe à exception.

En effet, cette loyauté ne s’applique pas lorsqu’un « intérêt public majeur le justifie ».

Or, la définition de cet « intérêt » n’est pas donnée, de sorte qu’il est difficile d’en connaître à l’avance les limites.

● D’autre part, à supposer même que l’enquête ne soit pas loyale, la jurisprudence considère que cela n’a pas d’impact sur la validité de la procédure disciplinaire.

C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat (CE. CHS. 3 juillet 2020, n° 432756[3]).

C’est également ce qu’a retenu la cour administrative d’appel de Lyon qui a été plus loin en relevant également que cette enquête administrative n’était soumise à « aucun formalisme » et était « indépendante » de l’action disciplinaire (CAA Lyon, 26 janvier 2022, n° 20LY00873[4]).

Ainsi, cela signifie que même à supposer que l’enquête soit menée de manière déloyale, cela n’aurait pas d’incidence sur la légalité de la sanction prononcée.

Autrement dit, une sanction peut être prise à la suite d’une enquête déloyale.

  • Une jurisprudence peu sévère sur la nature des témoignages

Il convient de souligner également que la jurisprudence est très libérale envers l’administration concernant les témoignages recueillis pendant l’enquête.

En effet :

  • En premier lieu, les personnes entendues n’ont pas à être informées du cadre dans lequel elles le sont et n’ont pas non plus à prêter serment avant de fournir un témoignage (CE. SSR. 18 mars 1988, M. Georges X, n° 70221).

Ainsi, la jurisprudence est particulièrement peu exigeante à l’égard des témoignages recueillis à l’occasion de l’enquête puisqu’ils sont recueillis par un tiers (l’enquêteur) sans être vérifiés par les témoins et sans qu’ils soient informés du cadre dans lequel ils sont entendus.

Or, ce sont ces témoignages qui serviront de base au prononcé de la sanction au terme de la procédure disciplinaire.

II. Le fonctionnaire n’a aucun droit durant l’enquête administrative

Comme cela va être exposé plus en détail ci-dessous, l’agent poursuivi ne dispose en réalité d’aucun droit dans le cadre d’une enquête administrative.

Au vu de la jurisprudence, il faut considérer que cette absence totale de droit trouve sa source dans la déconnexion théorique de l’enquête administrative et de la procédure disciplinaire.

Néanmoins, cette position est largement artificielle dans la mesure où, en réalité, l’action disciplinaire s’appuie sur l’enquête administrative.

  • Le fonctionnaire n’a pas à être informé qu’il est entendu dans le cadre d’une enquête

Lorsque l’agent est convoqué par son administration pour être entendu dans le cadre d’une enquête administrative qui le concerne, l’objet de cette convocation n’a pas à être précisé.

En effet, l’administration peut parfaitement ne pas l’informer de ses intentions et du motif de ce rendez-vous.

C’est ce qui ressort d’une jurisprudence constante (voir, pour un exemple récent : CAA Marseille, 20 avril 2018, n° 16MA04867).

  • Le fonctionnaire n’a pas à être mis à même de consulter son dossier

Si l’agent doit être mis à même de consulter son dossier pendant la procédure disciplinaire diligentée à son encontre, il n’en va pas de même au cours de l’enquête préalable au lancement officiel de la procédure disciplinaire.

C’est ce qu’a jugé la cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 20 décembre 2016, n° 15VE00395).

Ainsi, l’agent doit pouvoir accéder à son dossier une fois qu’il est officiellement accusé d’une faute conduisant à une sanction, mais il n’a pas à être invité à en prendre connaissance au moment où l’administration enquête sur lui.

Cette position est critiquable dans la mesure où, en réalité, c’est au moment où l’agent est entendu qu’il est important qu’il ait pris connaissance de son dossier.

  • Le fonctionnaire ne peut pas imposer la présence de son avocat

L’agent n’a pas à se voir indiquer qu’il peut être assisté par un défenseur, à la différence de la procédure disciplinaire proprement dite (CAA Versailles, 20 décembre 2016, n° 15VE00395).

Cela signifie également qu’il ne peut pas être accompagné par un avocat s’il le souhaite.

En effet, en dehors des hypothèses dans lesquelles les textes prévoient le droit à la présence un avocat, l’administration peut s’y opposer.

Or, pendant l’enquête, ni les textes, ni la jurisprudence n’imposent une telle présence.

Dès lors, dans une enquête administrative, le fonctionnaire ne peut pas exiger d’être accompagné de son avocat pendant son audition.

  • Le fonctionnaire ne peut pas demander qu’une personne soit entendue

Comme cela a déjà été indiqué, le fonctionnaire ne peut pas exiger qu’un agent soit entendu dans le cadre d’une enquête administrative (CE. SSR. 15 mars 2004, M. Jean-Yves A, n° 255392).

Ainsi, l’administration est totalement libre du choix des agents qui seront auditionnés.

Bien entendu, la logique voudra que l’ensemble des agents susceptibles de donner des informations utiles soient entendus. Néanmoins, ce n’est pas une obligation pour l’administration.

  • Le fonctionnaire ne peut pas demander une confrontation

L’agent ne peut pas exiger une confrontation avec les personnes qui l’accusent.

En effet, l’administration n’est pas tenue de faire droit à une demande de confrontation même si le fonctionnaire le souhaite (CAA Nancy 20 décembre 2016, n° 15NC02371).

Là encore, les droits du fonctionnaire sont particulièrement limités.

En conclusion, il apparaît que la procédure d’enquête administrative pèche par son manque d’encadrement, auquel la jurisprudence n’a pas apporté de correctif.

En effet, cette enquête présente un caractère relativement secret et peu formel jusqu’à son terme.

Sans aller jusqu’à une judiciarisation excessive de l’enquête, qui n’est effectivement qu’un préalable à la procédure disciplinaire en elle-même, il paraîtrait logique de prévoir, à tout le moins que :

▪ L’agent puisse être accompagné par un avocat dans la mesure où, en réalité, l’agent est déjà accusé même si cette accusation n’est pas officielle.

▪ L’enquête soit menée par une personne extérieure au service pour éviter toute question de partialité ou d’animosité (qui sont toujours difficiles à démontrer).

▪ Les personnes entendues dans le cadre de l’enquête soient informées du cadre dans lequel elles sont entendues et soient mises à même de relire leurs témoignages avant de les signer.

En effet, en l’absence de signature et de relecture, il est certain qu’il arrive régulièrement que des informations sont (volontairement ou involontairement) perdues, voire ne soient pas comprises par l’enquêteur.

Sans cette vérification par les témoins, l’enquête n’est en réalité que le résultat de ce que l’enquêteur a cru en comprendre et qui, pourtant, est pris comme un fait établi.

▪ L’agent soit informé de l’enquête et puisse demander que certains de ses collègues soient entendus.

En effet, à défaut, il peut lui être impossible de se disculper si les personnes qui détiennent les informations utiles ne souhaitent pas lui venir en aide.

De telles mesures permettraient nécessairement d’obtenir des informations plus précises et, également, de donner plus de crédibilité à l’enquête.

Néanmoins, au vu de la tendance jurisprudentielle et de l’absence de texte en la matière, il apparaît hautement improbable qu’une telle évolution ait un jour lieu.

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[1] « Considérant que le principe de la présomption d'innocence, qui ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité hiérarchique, investie du pouvoir disciplinaire, conduise les investigations nécessaires à l'exercice de ce pouvoir […] ».

[2] « Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, n'obligeait l'administration à procéder à une enquête disciplinaire […] ».

[3] « 5. D'une part, il résulte de ce qui précède que si des pièces et documents doivent en principe être écartés des débats dès lors qu'ils ont été obtenus en méconnaissance de l'obligation de loyauté à laquelle l'employeur public est tenu vis-à-vis de ces agents, une telle méconnaissance n'a pas pour effet, en tant que telle, de vicier l'ensemble de la procédure. […] ».

[4] « 5. L'enquête administrative à laquelle M. A... reproche d'avoir méconnu les exigences de loyauté et d'impartialité, ainsi que les droits de la défense, a été menée des mois de janvier à mars 2018 et a permis de recueillir les témoignages de près de vingt-cinq agents, avant l'engagement de la procédure disciplinaire. Indépendante de celle-ci, elle n'était soumise à aucun formalisme particulier dont la méconnaissance vicierait la procédure disciplinaire. […] ».

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