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Comme cela a pu être exposé précédemment ici (voir l’article : La mise en demeure de scolariser un enfant crée une situation d’urgence au sens du référé même si les parents n’ont pas exécuté la mise en demeure), la réforme de l’enseignement en famille (ou enseignement à domicile) a conduit à mettre en place le principe de la scolarisation dans un établissement public ou privé.
En cas d’autorisation accordée pour l’enseignement en famille (voir l’article : Le Conseil d’Etat confirme, pour l’essentiel, la réforme de l’enseignement à domicile), les services du rectorat procèdent à des contrôles de la qualité de l’enseignement en évaluant l’apprentissage de l’enfant.
● Se pose alors la question de savoir si l’administration est alors obligée de mettre en demeure les parents de scolariser l’enfant ou si elle dispose d’une marge d’appréciation, notamment au vu de son intérêt supérieur, pour décider que néanmoins l’instruction en famille se poursuivra.
La lettre de l’article L. 131-10 du code de l’éducation qui prévoit ce contrôle semble exclure toute marge d’appréciation puisque qu’il indique qu’après deux contrôles négatifs, l’administration « met en demeure » les parents de scolariser l’enfant dans un délai de 15 jours.
Toutefois, comme le relevait le rapporteur public M. Jean-François de Montgolfier dans ses éclairantes conclusions sur cette décision, une position consistant à considérer que la mise en demeure des parents est automatique pourrait être contraire à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfants (CIDE) du 26 janvier 1990, qui impose d’accorder une importance primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant « dans toutes les décisions qui concernent les enfants ».
Mais il invitait néanmoins le Conseil d’Etat à considérer que cette marge était absente, la prise en compte des autres impératifs, et notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant, devant être pris en compte au stade du contrôle.
● Dans la décision commentée (CE. CHR. 6 février 2024, n° 476988, mentionnée aux tables), le Conseil d’Etat ne paraît pas avoir suivi son rapporteur public même si sa décision ne brille pas sa clarté.
En effet, le Conseil d’Etat a jugé deux choses.
D’une part, il n’a considéré à aucun moment que les contrôles exercés par les services du rectorat devaient porter sur autre chose que l’acquisition progressive du socle commun en tenant compte et le caractère approprié de cet apprentissage à la situation de l’enfant et de ses besoins particuliers :
« 7. Les contrôles diligentés, en vertu de l'article L. 131-10 du code de l'éducation cité au point 4, par l'autorité compétente en matière d'éducation ont pour objet de vérifier, afin que soit effectivement garanti le droit à l'instruction de chaque enfant, que l'instruction d'un enfant dans la famille permet l'acquisition progressive par celui-ci de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire et son caractère approprié au regard de l'âge de l'enfant, et le cas échéant, en cas de trouble de santé invalidant, à ses besoins particuliers. […] ».
Ainsi, il n’a pas indiqué que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte au stade du contrôle.
D’autre part, il a estimé que l’administration devait « en principe » mettre en demeure les parents mais sans indiquer expressément que cette mise en demeure était obligatoire :
« 7. […] Lorsque les résultats du second contrôle de l'instruction d'un enfant dans la famille sont jugés insuffisants, il appartient, en principe, à l'autorité de l'Etat compétente en matière d'éducation, dans l'intérêt même de l'enfant et afin d'assurer son droit à l'instruction, de mettre en demeure les personnes responsables de l'enfant de l'inscrire, dans les quinze jours suivant la notification de cette mise en demeure, dans un établissement d'enseignement scolaire public ou privé. ».
Il n’est donc pas particulièrement facile d’interpréter cette décision puisqu’il faut faire l’exégèse des termes « en principe » pour déterminer s’il s’agit d’une obligation ou si l’administration peut prendre en compte certains éléments et, surtout, lesquels.
Un élément important vient toutefois plaider dans le sens d’une marge d’appréciation pour l’administration avant de prononcer la mise en demeure. En effet, les abstrats de la décision sur Legifrance indiquent bien :
« CETAT30-01-03 ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE. - QUESTIONS GÉNÉRALES. - QUESTIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES ÉLÈVES. - INSTRUCTION DANS LA FAMILLE – CONTRÔLES PERMETTANT DE VÉRIFIER L’ACQUISITION DU SOCLE COMMUN DE CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES (ART. L. 131-10 DU CODE DE L’ÉDUCATION) – RÉSULTATS INSUFFISANTS DU SECOND CONTRÔLE – POUVOIR D’APPRÉCIATION DE L’AUTORITÉ ACADÉMIQUE POUR PRONONCER UNE MISE EN DEMEURE D’INSCRIRE L’ENFANT DANS UN ÉTABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT SCOLAIRE – EXISTENCE. ».
● Il faut donc en déduire qu’un pouvoir d’appréciation existe.
En revanche, la nature de ce pouvoir d’appréciation reste difficile à cerner car le Conseil d’Etat n’en a pas défini les contours.
Cependant, le jugement de l’affaire au fond donne un exemple de ce dont l’administration doit tenir compte dans le cadre de son pouvoir d’appréciation : l’intérêt supérieur de l’enfant.
En effet, dans cette affaire, les requérants soutenaient que la mise en demeure était contraire à l’intérêt supérieur de leur enfant.
Or, si le Conseil d’Etat a écarté ce moyen il l’a fait sur le fond :
« 9. […] Dans ces conditions, en retenant, après avoir seulement relevé que la scolarisation du jeune D... serait de nature à créer pour lui d'importantes difficultés d'adaptation, que le moyen tiré de ce que la mise en demeure était contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier. […] ».
Il a donc considéré que le moyen n’était pas fondé et non pas qu’il était inopérant.
Autrement dit, il est juridique possible de se prévaloir de l’intérêt supérieur de l’enfant contre une mise en demeure de scolariser un enfant. Mais dans cette affaire, il n’était pas démontré que cette mise en demeure était contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ainsi, en résumé, l’administration n’est pas tenue d’émettre une mise en demeure de scolariser un enfant en cas de double contrôle négatif, elle doit tenir compte de son intérêt supérieur. Il est donc possible de contester ce point devant le juge.
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