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Le 20/03/2019
Par une décision n° 412542 du 25 octobre 2018, le Conseil d'Etat a indiqué que le juge administratif n'avait pas à contrôler le contenu des études exigées par les plans de prévention des risques à l'occasion des demandes de permis de construire, mais devait se borner à vérifier la présence au dossier de l'attestation de l'architecte indiquant que ces études existaient bien.
Il est nécessaire de rappeler d'emblée que l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme prévoit que le dossier de demande de permis de construire doit comporter une attestation de l'architecte confirmant la réalisation des études exigées par les plans de prévention des risques (naturels, miniers ou technologiques).
En effet, les plans de préventions des risques prévoient, dans certaines zones qu'il déterminent, l'obligation pour un constructeur d'effectuer une étude assurant la prise en compte des exigences de ce plan à l'occasion des demandes de permis de construire. L'article R. 431-16 du code de l'urbanisme indique que, dans cette hypothèse, le dossier doit comporter une attestation de l'architecte ou d'un expert, certifiant que cette étude a été réalisée et que le projet en tient compte.
Cette obligation apparaît logique dans la mesure où elle vise à assurer la prise en compte et l'effectivité de ces plans de prévention des risques.
C'est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Montreuil avait considéré, à la demande du requérant, qu'il lui incombait également de vérifier le contenu de cette étude et en avait déduit que la seule attestation produite n'assurait pas la prise en compte de cette étude par le projet dès sa conception.
Dans la décision commentée, le Conseil d'Etat censure ce raisonnement en estimant que le juge doit se borner à vérifier l'existence de l'attestation au dossier.
Cette solution est conforme à la lettre du texte de l'article R. 431-16 du code de l’urbanisme qui exige seulement la présence au dossier de l'attestation.
Il convient néanmoins d'en tempérer la portée puisqu'une lecture rapide peut laisser penser que cette décision fait obstacle au contrôle par le juge administratif du respect des plans de prévention des risques lors de l'instruction des permis de construire. Or, une telle lecture est erronée.
En effet, les dispositions des plans de prévention des risques doivent être respectées par les dossiers de permis de construire. Comme l'a déjà jugé le Conseil d'Etat, les plans de prévention des risques sont des servitudes d'urbanisme qui s'imposent directement aux permis de construire. De la sorte, il appartient à l'administration de les appliquer et de refuser, le cas échéant, un permis de construire qui y serait contraire (CE SSR. 4 mai 2011, Commune de Fondettes, n° 321357, mentionnée aux tables).
Ainsi, les plans de prévention des risques doivent bien être respectés.
La décision commentée porte en réalité sur des zones assez précises où les plans de prévention des risques ne prévoient pas d'interdiction ou de restriction à la construction mais imposent la réalisation d'études.
Autrement dit, au vu des décisions précités :
- Le maire doit contrôler le respect des dispositions des plans de prévention des risques lors de l'instruction des permis de construire (interdictions, conditions, etc.),
- Mais le maire n'a pas à contrôler le contenu des études que peuvent exiger par les plans de prévention des risques, mais seulement se borner à vérifier que l'attestation exigée par l'article R. 431-16 du code de l'urbanisme est au dossier. Tel est donc l'apport de la décision commentée.
Précisions sur le délai de recours du préfet (déféré) contre un permis de construire tacite
Le 10/03/2019
Par une décision n° 400779 du 22 octobre 2018, le Conseil d'Etat est venu préciser les délais dans lesquels le préfet peut contester un permis de construire tacite lorsqu'il n'a reçu qu'un dossier incomplet.
Le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion de régler la question du départ du délai de recours dont dispose le préfet à l'égard des permis de construire explicites et tacites. En effet, le permis de construire fait partie des actes que les collectivités territoriales ont l'obligation de transmettre au préfet pour qu'il exerce son contrôle de légalité. S'il estime le permis illégal, il peut le déférer au juge administratif dans un délai de deux mois.
Se pose donc nécessairement la question de savoir quand ce délai de deux mois commence à courir.
Lorsque le permis de construire est explicite, la réponse est assez simple. Le délai commence à courir à compter de la transmission de la décision de permis de construire est transmise au préfet. Concernant les permis tacites (qui naissent du silence de l'administration), la question est nécessairement plus compliquée.
Il a déjà été jugé que la transmission de l'entier dossier de demande (qui est en principe obligatoire) valait information du préfet, de sorte que le délai de recours de ce dernier commençait à courir à compter de la date à laquelle le permis de construire tacite était acquis (CE. SSR. 17 décembre 2014, n° 373681, mentionnée aux tables).
Dans la décision qui nous intéresse, le Conseil d'Etat vient préciser ce principe en indiquant, assez logiquement, que si le dossier de demande de permis de construire transmis au préfet est incomplet, alors le délai de recours ne commence pas à courir pour ce dernier.
Dès lors, si la commune demande au pétitionnaire des pièces complémentaires au cours de l'instruction du permis de construire (et même si elle n'en informe par le préfet en parallèle), le dossier qu'elle a transmis est regardé comme incomplet et le délai de recours du préfet ne commence pas à courir, sauf à ce qu'elle transmette les pièces complémentaires au préfet.
Voir, sur la question du caractère définitif du permis de construire l'article : A quelle date un permis de construire est-il définitif ?
Le 28/02/2019
Par une décision n° 412104 du 12 octobre 2018 le Conseil d'Etat rappelle qu'il n'est pas possible, après annulation d'un refus de permis de construire de manière définitive, de refuser ce permis pour l'un des motifs censurés par le juge, sauf évolution ultérieure des circonstances de fait.
En effet, dans l'affaire étudiée par le Conseil d'Etat, la société requérante avait sollicité, en 2007, l'octroi d'un permis de construire un parc éolien. Elle s'était vu opposer un refus par le préfet au motif que, par son impact visuel, le parc éolien portait atteinte à l'intérêt d'un château classé monument historique situé dans son champ de visibilité.
Toutefois, les juridictions administratives avaient annulé ce refus en estimant que l'impact visuel sur le monument historique était faible et n'y portait donc pas atteinte.
Exécutant cette décision, le préfet avait donc accordé ce permis de construire en 2011.
Un nouveau recours avait été formé contre ce permis de construire et le tribunal administratif, puis la cour, avaient annulé ledit permis en estimant cette fois que des éléments nouveaux faisaient apparaître une forte covisibilité entre le projet et un autre monument historique, et que de nouveaux photomontages montraient la forte prégnance visuelle du projet sur un site classé également proche.
Dans la décision commentée, le Conseil d'Etat censure ce raisonnement par application du principe de l'autorité de la chose jugée.
En effet, l'autorité de la chose jugée s'attache à l'ensemble des décisions de justice devenues définitives. Elle concerne non seulement le dispositif (le sens de la décision : annulation ou rejet) mais également les motifs de cette décision (les raisons pour lesquels le juge est parvenu à cette conclusion : CE. Sect. 28 novembre 1949, Société des automobiles Berliet, publiée au Recueil p. 579).
Au cas présent, les juges avaient finalement retenu le même motif que celui qu'ils avaient censuré quelques années auparavant par une décision devenue définitive (le jugement annulant le refus initial de permis de construire n'ayant pas été contesté).
Le Conseil d'Etat censure, assez logiquement ce raisonnement.
Même si les raisons retenues pour censurer le permis de construire délivré étaient quelques peu différentes de celles qui avait été initialement avancées pour refuser le permis de construire quelques années plus tôt, elles relevaient du même motif : l'impact visuel du projet.
Or, le Conseil d'Etat estime que « sans relever aucun changement qui aurait affecté la réalité de la situation de fait », la cour ne pouvait pas annuler le permis de construire pour ce motif, l'autorité de la chose y faisant obstacle.
Autrement dit, les juges auraient pu censurer le permis de construire du fait de son impact visuel (malgré le jugement contraire antérieur) si l'environnement avait évolué. Par exemple si un obstacle à la covisibilité entre deux bâtiments avaient disparu. En effet, si un immeuble qui était placé entre un monument historique et le parc éolien avait disparu, rendant celui-ci visible depuis un monument historique, alors la situation de fait aurait été nouvelle. Assez logiquement, le juge aurait alors été libre d'apprécier l'impact de cet élément nouveau sur la légalité du nouveau permis qui lui était soumis.
Cependant, en l'espèce, la situation de fait était restée la même. Seule l'argumentation avait été différente et apparemment fondée sur des photomontages plus parlants. Ces faits n'étant pas nouveau, le Conseil d'Etat considère que l'autorité de la chose jugée s'oppose à une annulation du permis de construire délivré.
Ainsi, à situation de droit et de fait constante, il n'est pas possible d'utiliser un motif qui a été censuré par le juge. Cette solution classique est à rapprocher de celle adoptée s'agissant des injonctions que le juge administratif peut prononcer en cas d'annulation d'un permis de construire (CE. CHR. Avis. 25 mai 2018, Préfet des Yvelines, n° 417350, publié au Recueil).
Le 20/02/2019
Par une décision n° 406222 du 3 octobre 2018, le Conseil d'Etat est venu préciser les conséquences qu'il convenait de donner à un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) jugeant qu'un ressortissant étranger courrait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants.
● En effet, il convient de conserver à l'esprit que la CEDH n'est pas une juridiction d'appel ou de cassation placée au sommet de l'ordre juridique interne. Aussi, ses décisions ne font pas disparaître les jugements ou arrêts rendus par les juridictions internes qui lui seraient contraires.
C'est là une grande différence avec les juridictions de cassation internes (Cour de Cassation et Conseil d'Etat) qui font disparaître les arrêts et jugements rendus antérieurement s'ils les annulent.
La CEDH n'a pas de pouvoir d'annulation des jugements et arrêts internes.
En revanche, les arrêts de la Cour ont un caractère obligatoire pour les Etats, qui doivent les exécuter en vertu de l'article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Se pose donc régulièrement la question de la manière dont il convient de tenir compte de ces arrêts lorsque des décisions définitives contraires ont été rendues par les juridictions internes et ne peuvent donc plus être rapportées au moment où intervient l'arrêt de la Cour.
● En l'espèce, l'intéressé, qui s'était vu opposer un refus à la demande d'asile qu'il avait formée par l'OFPRA, avait contesté ce refus devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), sans succès.
A la suite de ces échecs et de l'obligation qui lui avait été imposée de quitter le territoire français, il avait saisi la CEDH en persistant à affirmer qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il était exposé à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l'article 3 de la Convention. La Cour lui avait donné raison par un arrêt devenu définitif.
Fort de cet arrêt positif, il avait demandé le réexamen de sa demande d'asile à l'OFPRA, mais cette demande avait été rejetée et la CNDA saisie par lui avait confirmé ce refus en estimant que les risques dont il se prévalait n'étaient pas établis.
Le requérant s'est alors pourvu devant le Conseil d'Etat.
Ce dernier considère, dans la décision commentée, que la CNDA a commis une erreur de droit.
En effet, il rappelle qu'il appartient aux Etats parties à la Convention d'exécuter les arrêts de la Cour. Or, il juge que la complète exécution de l'arrêt de la CEDH impliquait en l'espèce que les autorités françaises octroient la protection subsidiaire au demandeur.
Le Conseil d'Etat indique néanmoins une limite, à savoir qu'il appartient à l'OFPRA et à la CNDA de vérifier que l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne trouve pas à s'appliquer (CESEDA).
Cet article permet en effet de s'opposer à l'octroi de la protection subsidiaire dans différentes hypothèses (lorsque la personne a commis un crime grave ou un crime contre la paix, la guerre ou l'humanité, ou d'autres circonstances du même ordre listées par cet article).
En l'espèce, le Conseil d'Etat relève que la CNDA ne pouvait refuser la protection subsidiaire que si l'article L. 712-2 du CESEDA s'y opposait. N'ayant pas relevé que ledit article s'opposait à l'octroi de la protection subsidiaire à l'intéressé, la CNDA a commis une erreur de droit.
● Ainsi, pour donner un plein effet à l'arrêt de la CEDH, l'OFPRA et la CNDA ne peuvent plus considérer que l'individu n'établit pas être soumis à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine et doivent donc accorder la protection subsidiaire à celui qui la demande.
Ils peuvent seulement s'opposer à l'octroi de cette protection si un des motifs énumérés à l'article L. 712-2 du CESEDA s'y oppose.
Dès lors, par cet arrêt, le Conseil d'Etat donne une force qui s'approche de l'autorité de la chose jugée aux arrêts rendus par la CEDH.
Cette solution est d'ailleurs à comparer avec celle que la haute juridiction avait adoptée il y a quelques années à propos d'une décision de la CEDH demandant au gouvernement français de ne pas renvoyer un requérant dans son pays d'origine le temps qu'elle traite son recours (CE. CHR. 9 novembre 2016, n° 392593, mentionnée aux tables).
En effet, le Conseil d'Etat avait jugé que cette décision de la Cour s'opposait seulement au renvoi de l'intéressé dans son pays d'origine mais n'obligeait pas la CNDA à surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la CEDH.
Cette différence d'autorité accordée à ces deux décisions de la Cour s'explique dans la mesure où dans l'affaire de 2014, la CEDH ne s'était pas prononcée sur le recours du requérant mais avait simplement demandé aux autorités françaises de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine dans l'attente de son arrêt. Il était donc logique que cette décision, qui ne se prononçait pas sur le litige de l'intéressé ne fasse pas obstacle à la poursuite de la procédure devant la CNDA et, éventuellement, au rejet de sa demande.
La seule obligation de la France était alors d'attendre l'arrêt de la Cour qui devait se prononcer sur le recours de l'intéressé.
Dans l'affaire ici commentée, la décision de la CEDH en cause est à un stade ultérieur puisqu'il s'agit de son arrêt définitif se prononçant sur le risque encouru par le requérant en cas de retour dans son pays d'origine. Elle n'a donc pas le même objet que dans l'affaire de 2014.
C'est ce qui explique la différence d'autorité accordée à ces deux décisions.
Le 07/02/2019
Par une décision n° 412897 du 1er octobre 2018, le Conseil d'Etat rappelle qu'il peut être mis fin, pour l'avenir, à la protection fonctionnelle octroyée à un agent lorsqu'il apparaît que cette protection n'est pas plus due (ou ne l'a jamais été). Il précise qu'en matière de protection accordée en raison d'un harcèlement moral, l'intervention d'un jugement non-définitif des juridictions judiciaires ne retenant pas le harcèlement ne suffit pas à justifier qu'il soit mis fin à la protection. En revanche, les éléments révélés à cette occasion peuvent justifier l'arrêt de cette protection.
Il est désormais bien établi que la protection fonctionnelle prévue à l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 doit être octroyée à un agent public qui subi un harcèlement moral (voir sur ce point l'article : Harcèlement moral, protection fonctionnelle et droit de retrait).
Sur le fondement de ces dispositions, il arrive que la protection soit accordée à un agent qui s'estime harcelé. C'est ce qui s'était passé dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat.
Dans cette affaire, l'agent en question avait attaqué civilement et pénalement les auteurs présumés de ce harcèlement devant les juridictions judiciaires.
Or, ces dernières avaient considéré que le harcèlement n'était pas établi mais ce jugement avait été frappé d'appel.
Face à cette situation, l'administration avait considéré que la protection fonctionnelle n'était plus due. L'agent ayant contesté le terme mis pour l'avenir à sa protection fonctionnelle, la cour administrative d'appel saisie du litige avait considéré que, du fait du jugement rendu par les juridictions judiciaires, l'administration avait à bon droit mis un terme à la protection de son agent.
Saisi de ce litige, le Conseil d'Etat censure ce raisonnement en estimant : d'une part, que le jugement non-définitif rendu par les juridictions judiciaires ne pouvait justifier à lui seul la fin de la protection fonctionnelle et, d'autre part, qu'en revanche, les éléments nouveaux mis en lumière à l'occasion de cette procédure pouvaient justifier qu'il soit mis un terme à la protection.
Les précisions du Conseil d'Etat sur les possibilités de mettre un terme à la protection fonctionnelle d'un agent public octroyée en raison d'un harcèlement moral sont donc doubles.
En effet, il était d'ores et déjà établi que l'administration pouvait mettre un terme pour l'avenir à la protection fonctionnelle d'un agent lorsqu'il apparaissait qu'elle n'était plus justifiée ou ne l'avait jamais été (voir, sur ce point : CE. Sect. 14 mars 2008, M. André A, n° 283943, publiée au Recueil). En cela, la décision commentée n'apporte rien de nouveau, ce principe étant déjà établi. En revanche, elle apporte des précisions utiles en matière de protection fonctionnelle pour harcèlement.
● En premier lieu, le Conseil d'Etat indique que l'intervention d'une décision du juge judiciaire ne retenant pas la qualification de harcèlement moral ne justifie pas à elle seule le terme mis à la protection si cette décision du juge judiciaire n'est pas devenue définitive.
Cette solution apparaît logique dans la mesure où si le juge judiciaire est encore saisi en appel de la situation, alors elle n'est pas tranchée de manière définitive.
Cela signifie, a contrario, que si la décision du juge judiciaire qui ne retient pas la qualification de harcèlement moral est définitive, l'administration peut se borner à faire mention de cette décision pour justifier l'abrogation de la décision de protection.
● En second lieu, et dans la mesure où l'administration peut mettre un terme à la protection si elle n'apparaît pas ou plus justifiée, l'administration peut en revanche tenir compte des éléments qui auraient pu apparaître à l'occasion du procès devant le juge judiciaire.
En effet, si au cours des débats, des éléments dont elle n'avait pas connaissance apparaissent et lui permettent de considérer que sa protection n'était pas justifiée, alors elle peut les utiliser pour mettre un terme à sa protection. Mais elle doit alors justifier sa décision par ces éléments nouveaux et on par l'intervention du jugement en lui-même.
Le refus de naturalisation, le centre des intérêts et la résidence
Le 15/12/2018
Par une décision n° 416358 du 5 octobre 2018, le Conseil d’Etat rappelle que pour être naturalisé, un postulant doit avoir, en France, le « centre de ses intérêts ».
A la lecture des dispositions du code civil, une telle condition ne va pas de soi. En effet, le code civil se borne à exiger à son article 21-16, que le postulant réside en France à la date de sa naturalisation.
Toutefois, dans la pratique, l’administration et la jurisprudence sont allées plus loin en exigeant que le postulant ait le « centre de ses intérêts » en France (voir, par exemple, en ce sens : CE. Sect. 28 février 1986, n° 57464, publiée au Recueil) pour être naturalisé.
Dès lors, et en réalité, une condition supplémentaire à celle exigée par le texte (la résidence) a été ajoutée (le centre des intérêts).
Ainsi, à titre d’exemple, un étudiant, qui reçoit pour vivre de l’agent de l’étranger venant de sa famille n’est pas considéré comme ayant en France le centre de ses intérêts (CE. Sect. 28 février 1986, n° 50277, publiée au Recueil). De même pour un postulant dont les enfants mineurs vivent à l’étranger (CE. Sect. 26 février 1988, n° 70584, publiée au Recueil).
Les conditions pour que le « centre des intérêts » du postulant soit regardé comme étant situé en France sont donc assez strictes.
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle ces principes et la possibilité de tenir compte de la situation familiale du postulant pour apprécier où se trouve le « centre de ses intérêts ».
Appliquant ces principes à l’espèce, le Conseil d’Etat considère que la présence de l’épouse du postulant à l'étranger s’oppose à ce que le centre de ses intérêts soit regardé comme étant en France. Aussi, il confirme le refus de naturalisation.
A quel état d'un monument historique les travaux effectués sur celui-ci doivent-ils être conformes ?
Le 03/12/2018
Par une décision n° 410590 du 5 octobre 2018, le Conseil d’Etat vient apporter des précisions sur les travaux effectués sur les monuments historiques.
En effet, en vertu du code du patrimoine, il n’est pas possible de faire de quelconques travaux de restauration, modification ou démolition d’un immeuble classé monument historique sans autorisation de l’administration (article L. 621-9 du code). A cette occasion, l’administration vérifie (article R. 621-18 du même code) que les travaux :
Sont compatibles avec le statut d’immeuble classé,
- Ne portent pas atteinte à l’intérêt ayant justifié le classement,
- Ne compromettent pas la bonne conservation du bâtiment.
- Ces principes sont appliqués avec attention par l’administration.
A l’occasion de l’affaire jugée par le Conseil d’Etat dans la décision du 5 octobre 2018, ce dernier précise que pour analyser le projet de modification ou de restauration de l’immeuble classé monument historique, l’administration ne doit pas se référer à l’état ou à la configuration de cet immeuble à la date de son classement.
Elle doit prendre en compte l’intérêt qui a justifié la mesure de conservation.
Autrement dit, si, par exemple, le classement d’un immeuble a pour objet de préserver cet immeuble tel qu’il était lors de sa création et non lors de son classement, alors c’est à l’immeuble tel qu’il était lors de sa création qu’il faut se référer sans tenir compte des modifications postérieures.
Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, était en cause la modification de l’un des immeubles de la place Vendôme.
Or, le requérant (qui s’était vu opposer un refus au projet de modification qu’il avait préparé et avait formé un recours contre ce refus) reprochait à la cour administrative d’appel de Paris d’avoir apprécié son projet au regard de la configuration initiale de la place Vendôme lors de sa création et non au regard de la configuration de la place à la date de son classement.
Le Conseil d’Etat confirme cependant le raisonnement de la cour et apporte d’utiles précisions quant aux motifs de classement de la place Vendôme :
- Il relève d’une part que le classement avait pour objet de préserver l’ordonnancement initial de la place (et non son ordonnancement à la date du classement en 1862).
- D’autre part, il estime que cet ordonnancement initial de la place pouvait s’apprécier à la lumière des gravures de Jean-François Blondel lesquelles « donnaient, en l'état des connaissances, la description la plus précise, complète et certaine de la place Vendôme à la date de son achèvement ».
Il en déduit donc que le projet pouvait et devait être apprécié à la lumière de l’état initial de la place et non au vu de son état à la date de son classement.
Cet exemple montre donc l’importance des motifs retenus pour le classement d’un monument historique et impose donc de se pencher de manière assez précise sur ces motifs au moment d’éventuels travaux sur l’immeuble classé.
Déroulement des examens universitaire et juge du référé-liberté
Le 15/11/2018
Par une ordonnance n° 423727 du 20 septembre 2018 le juge des référés du Conseil d’Etat apporte d’intéressantes précisions quant à la qualification de « liberté fondamentale » au sens du référé-liberté à propos du droit à l’instruction et de ses corollaires pour les personnes atteintes d’un handicap.
En effet, dans cette affaire, une étudiante de master 2, atteinte d’un grave handicap et d’un cancer, avait saisi le juge du référé-liberté pour qu’il soit enjoint à son université : de limiter ses épreuves à 3 heures par jour et de l’autoriser à stocker un concentrateur d’oxygène dans les locaux de l’université.
Cette demande ayant été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, elle avait interjeté appel de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d’Etat.
A l’occasion de cette affaire, le conseil d’Etat apporte des précisions quant à la possibilité, pour des étudiants, de se prévaloir de leur droit d’accès à l’instruction devant le juge du référé-liberté.
Néanmoins, avant d’exposer la position prise par le Conseil d’Etat, il est nécessaire de rappeler brièvement l’objet du référé-liberté.
1. La liberté fondamentale au sens du référé-liberté ne doit pas être confondue avec l’ensemble des principes ou objectifs de valeur constitutionnels protégés par la Constitution (malgré leur caractère fondamental).
En effet, un principe peut parfaitement être un principe constitutionnel fondamental sans pour autant pouvoir être mobilisé devant le juge du référé liberté. Il en va, par exemple, ainsi du principe d’égalité qui est l’un des principes sur lesquels est assise la Constitution alors que ce principe ne constitue pas une « liberté fondamentale » au sens du référé-liberté (CE. Ord. 1er septembre 2017, Commune de Dannemarie, n° 413607, mentionnée aux tables). De même pour le droit au logement, qui est pourtant un objectif de valeur constitutionnelle (CE. Ord. 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et a., n° 245697, publiée au Recueil).
De même, tout droit conféré par la loi ou le règlement n’est pas un droit ou une liberté fondamentale dont on peut se prévaloir devant le juge du référé-liberté (voir, par exemple, le droit au congé-formation : CE. SSR. 28 mai 2001, M. Raut, n° 230888, mentionnée aux tables).
Ainsi, la liberté fondamentale au sens du référé-liberté est une catégorie à part qui permet seulement au juge de mettre en œuvre des pouvoirs particulièrement coercitifs à l’égard de l’administration. En effet, en référé-liberté, non-seulement le juge se prononce en 48h, mais il peut adresser des injonctions présentant un caractère définitif à l’administration.
Dès lors, ce n’est pas parce qu’un droit ou une liberté n’est pas qualifié de fondamental au sens du référé-liberté que ce droit ou cette liberté ne pourra pas conduire à l’annulation au fond d’une décision par le juge administratif. Cela signifie seulement qu’il ne sera pas possible de mettre en œuvre un référé-liberté.
Aussi, le Conseil d’Etat a une vision assez restrictive de ce qui relève de la liberté fondamentale, comme le montre le cas jugé en l’espèce.
2. En effet, dans l’ordonnance commentée, le juge des référés du Conseil d’Etat considère que les conditions de déroulement d’épreuves de master ne peuvent porter atteinte à aucune liberté fondamentale.
Bien que le juge ne précise pas, cela signifie que ces conditions ne portent pas atteinte au droit à l’instruction. C’est ce que soulevait la requérante, qui indiquait qu’était en cause l’égal accès à l’instruction.
Le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a pas de liberté fondamentale en l’espèce, même dans l’hypothèse où sont en cause des conditions de déroulement des épreuves portant atteinte au principe d’égalité. Cette précision est logique au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat mentionnée ci-dessus qui considère que le principe d’égalité n’est pas une liberté fondamentale (CE. Ord. 1er septembre 2017, Commune de Dannemarie, n° 413607, mentionnée aux tables).
Concernant le droit d’accès à l’instruction en lui-même, le Conseil d’Etat ne précise pas pourquoi cette liberté fondamentale qu’il a reconnue par le passé (CE. Ord. 15 décembre 2010, Ministre de l’éducation nationale, n° 344729, publiée au Recueil) ne peut pas être mobilisée en l’espèce.
Il y a deux interprétations possibles de ce refus :
- D’une part, que la question des examens de master 2 n’est pas relative à l’« accès » à l’instruction mais à son déroulement, le Conseil d’Etat ayant simplement consacré comme liberté fondamentale la « privation » de « toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ». Autrement dit, la liberté fondamentale ne semble protéger que l’accès à l’instruction et non pas son déroulement.
- D’autre part, que le master, grade universitaire de haut niveau ne relève plus du droit à l’instruction, ce droit étant limité à la scolarisation (à l’apprentissage des fondamentaux). En effet, dans l’ordonnance du 15 décembre 2010 consacrant le droit à l’instruction, le Conseil d’Etat cite différents texte pour justifier l’existence de la liberté fondamentale, lesquels se rapportent à la scolarisation des enfants. De plus, par le passé, le Conseil d’Etat avait considéré que l’ « accès » à une formation de troisième cycle (un doctorat) ne relevait pas d’une liberté fondamentale (CE. Ord. 24 janvier 2001, Université Paris VIII-Vincennes Saint-Denis, n° 229501, publiée au Recueil).
Il est probable que ces deux éléments ont joué dans la position prise par le Conseil d’Etat, ce dernier considérant que n’était en cause, ni l’« accès » à une formation, ni le droit à l’instruction au sens stricte.
Cela signifie donc que les conditions de déroulement des examens de master (et sans doute de toute formation universitaire) ne peuvent faire l’objet d’un référé-liberté.
3. En revanche, le Conseil d’Etat ouvre une brèche pour les étudiants atteints d’un handicap ou d’un « trouble de santé invalidant ».
En effet, à l’égard de ces étudiants, un référé-liberté est envisageable s’il existe une « carence caractérisée » de l’administration dans la mise en œuvre des obligations d’aménagement qui pèsent sur elle. Pour apprécier l’existence de cette carence caractérisée, le Conseil d’Etat indique qu’il faut se référer :
- A l’état de santé de l’étudiant,
- Aux pouvoirs et moyens dont dispose d’administration.
L’on en déduit donc que plus la personne sera atteinte d’un handicap ou d’une pathologie grave, plus l’administration devra être diligente.
Mais l’on constate également que si l’administration a peu de moyens, cela pourra être opposé à l’étudiant puisque le constat de la carence dépend des moyens de l’établissement. Cette vision que l’on pourrait qualifier de réaliste, est toutefois problématique dans la mesure où les moyens des personnes publiques en charge de l’enseignement supérieur étant de plus en plus limités, cette carence dans le financement du service public de l’éducation pourra un jour servir à justifier le refus d’aménagement des conditions de passation d’une épreuve pas une personne handicapée.
Appliquant ces principes nouveaux à l’espèce, le juge des référés du Conseil d’Etat constate en l’espèce qu’en cours d’instance, l’administration s’est engagée à prendre un prestataire pour fournir des bouteilles d’oxygène à l’étudiante pendant ses épreuves et à fractionner l’épreuve de 7 heures mais pas celles de 4 heures 20. Il relève en outre que l’université devra faire preuve de « bienveillance » à propos de la question des horaires des examens.
Il en déduit qu’il n’y a pas de carence caractérisée de l’université à ses obligations de sorte que le référé est rejeté.
C’est donc à la lumière de ces précisions nouvelles que les étudiants handicapés pourront, en cas de besoin, tenter un référé-liberté dans la petite fenêtre ouverte par le Conseil d’Etat.